Une « capsule temporelle » de 173 ans vient d’être découverte par des ouvriers lors de travaux de restauration de la cathédrale du Bon Pasteur à Singapour. « Une découverte rare », estiment les experts, et d’autant plus
importante que la cité de Singapour n’a été fondée qu’en 1819, c’est-à-dire vingt-quatre ans seulement avant l’enfouissement de cette capsule temporelle. Recouverte par la première pierre symbolique des fondations, dans un trou de la taille d’une boîte à chaussures, la capsule contenait des publications (un livret de prières et des journaux de 1843), 24 pièces de monnaie du XVIIIe et du XIXe siècle (provenant du Vietnam, de Grande-Bretagne, de France, du Portugal et d’Espagne), ainsi que des pièces utilisées par les marchands locaux pour payer les ouvriers dans les plantations. Un contenu qui reflète les préoccupations de la première communauté catholique de Singapour ainsi que la complexité et la diversité des échanges commerciaux de l’époque.

La première église catholique de Singapour

La cathédrale du Bon Pasteur (Cathedral of the Good Shepherd) est la plus ancienne église catholique de Singapour. La cérémonie de pose de la première pierre de l’église remonte au dimanche 18 juin 1843; elle est organisée par le P. Jean-Marie Beurel (1813-1872), missionnaire français, membre des MEP (Missions Etrangères de Paris). A cette date, le missionnaire âgé d’à peine 30 ans n’est présent dans la cité portuaire que depuis quatre ans, mais il déploie une énergie considérable au service du développement du catholicisme dans ce territoire britannique racheté en 1819 par Sir Thomas Stamford Raffles au sultan de Johor pour 33 000 dollars espagnols.

C’est lors de ce dimanche 18 juin 1843 qu’un « document traduit en cinq langues (latin, français, portugais, chinois et malais), (…) des pièces de monnaies anglaises, françaises, espagnoles et des journaux comme le Singapore Free Press et le Straits Messenger sont placés dans des vases et ensuite disposés dans les fondations de l’église », écrivent Maxime Pilon et Danièle Weiler dans un ouvrage de 2011 consacré aux Français à Singapour (Les Editions du Pacifique). Seules les archives laissées par le P. Beurel permettaient de connaître l’existence de cette « capsule temporelle » placée à dessein dans les fondations du lieu de culte, mais nul ne l’avait jamais vue. La surprise a donc été de taille lorsque, il y a quelques semaines, à l’occasion des travaux de rénovation de la cathédrale, la boîte contenant ces objets a été découverte dans un bon état de conservation.

En 1843, on se référait à la cathédrale du Bon Pasteur en parlant de la « Greja Franchis » (‘l’église française’). Le P. Beurel, qui tenait un journal et des comptes très précis, avait remué ciel et terre pour rassembler les 18 355,22 ‘dollars espagnols’ nécessaires à la construction de l’édifice (1). Il avait obtenu 4 000 francs de la reine Marie-Amélie de France, épouse de Louis-Philippe en 1840, et l’évêque de Manille de l’époque lui avait donné 3 000 ‘dollars espagnols’.

Le P. Jean-Marie Beurel, MEP
Ce sont des fissures dans les murs, le sol et les colonnes de la cathédrale, apparues en 2006, qui ont motivé la campagne de restauration actuellement en cours. Des fissures sans doute causées par des constructions souterraines menées dernièrement à proximité (pour le métro et l’université SMU – Singapore Management University). Le clocher penchait dangereusement et le bâtiment, classé au Patrimoine en 1973, souffrait de son âge avancé. La restauration de la cathédrale n’a toutefois débuté qu’en 2013, le temps pour le diocèse de réunir les 40 millions de dollars singapouriens (environ 27 millions d’euros) nécessaires au chantier de rénovation. « La générosité des gens m’a vraiment beaucoup touché », explique le P. Adrian Anthony, en charge de l’ensemble du projet. Mais la cathédrale n’étant pas une église paroissiale, le prêtre n’avait pas de communauté sur laquelle s’appuyer. Le bureau de la « Préservation des Monuments » n’ayant accordé qu’une subvention de 1,5 million S$, le diocèse a fait appel à la générosité des catholiques. L’église du Cœur immaculé de Marie, par exemple, organisa un tournoi de golf qui a permis de collecter 200 000 S$ en 2011. Une femme âgée a vendu sa maison et donné 1,2 million S$. Un couple de retraités a contribué à hauteur de 3 millions S$.

Dans un premier temps, il a fallu renforcer les fondations de la cathédrale. Un sous-sol pour les messes en semaine et une crypte seront ajoutés, ainsi qu’un bâtiment annexe de trois étages avec un centre du patrimoine pour relater l’histoire du catholicisme à Singapour et rendre accessible aux visiteurs les trésors de la cathédrale dans une galerie d’exposition. L’intérieur de l’église sera climatisé et le grand orgue restauré. La fin des travaux est prévue pour décembre 2016 et une cérémonie pour la consécration de la cathédrale aura lieu le 14 février 2017.

Les trouvailles d’un sacristain

La capsule temporelle est un peu comme la cerise sur le gâteau des découvertes faites lors de la rénovation de l’église, estiment les responsables du chantier. « Dans la pénombre de la sacristie de la cathédrale du Bon Pasteur, M. Jevon Liew [un bénévole travaillant pour la cathédrale - NDLR] examinait un crucifix en laiton et une paire de chandeliers. Ce matin-là, en 2013, il a remarqué des inscriptions françaises identiques autour de leurs bases. Traduits, les mots faisaient référence à une étape importante dans l’histoire de l’Eglise catholique à Singapour: ces objets étaient des dons de la France à la cathédrale en 1897, l’année de sa consécration officielle », rapportait le Straits Times, le mois dernier.

Les pièces et les journaux retrouvés dans une capsule
Autre trésor découvert dans la sacristie: l’anneau épiscopal orné d’une améthyste ayant appartenu à Mgr Michel Olçomendy (1901-1977), le premier archevêque de Singapour, n’a pu être identifié que grâce à la découverte d’une photo publiée dans le Straits Times en 1951; on peut y voir l’archevêque avec sa bague portée sur sa main gantée. Le livret de messe utilisé par le pape Jean-Paul II en 1986, lors de son passage à Singapour, a, quant à lui, été retrouvé à l’intérieur d’un classeur dans un placard poussiéreux. Ces objets et bien d’autres sont le témoignage de la vie de l’Eglise catholique de Singapour depuis la naissance de la cité-Etat.

« Une découverte comme celle-ci nous reconnecte avec le passé. Cela nous encourage également à nous raccrocher à la foi et à préserver l’histoire de l’Eglise », souligne Mgr Philip Heng, l’actuel recteur de la cathédrale du Bon Pasteur. Il a partagé son intention de mettre des journaux actuels, des pièces de monnaie et des billets de Singapour et peut-être même « quelques-unes des vieilles pièces de monnaie découvertes dans la capsule temporelle originale » dans une boîte métallique de la taille d’une brique qui sera enfermée dans la nouvelle colonne qui se trouve à l’emplacement de l’ancienne. « Dans les années à venir, dans deux cents ans peut-être, j’espère que la découverte sera préservée pour les générations futures », a déclaré Mgr Heng. (eda/jb)

(1) Pour avoir un ordre d’idée, un ‘coolie’ (travailleur manuel) était payé cinq dollars espagnol pour un mois de travail à casser des pierres (d’après les archives du P. Beurel).

(Source: Eglises d'Asie, le 17 juillet 2016)