Dimanche 4 janvier, l’équipe d’observateurs internationaux présents dans le pays en vue des élections présidentielles du 8 janvier prochain a déclaré en conférence de presse avoir reçu des plaintes sur des manœuvres d’intimidation visant à empêcher les électeurs tamouls de se rendre aux urnes. Cette déclaration intervient tandis que les inquiétudes restent fortes chez les catholiques de voir des violences éclater à l’issue des opérations électorales, quatre jours avant l’arrivée du pape François pour la visite de 48 heures qu’il doit effectuer dans le pays.

Présents au Sri Lanka à l’invitation du chef de la commission électorale du Sri Lanka, Mahinda Deshapriya, les observateurs, venus d’Asie du Sud et des pays du Commonwealth, sont au nombre d’une centaine. Les plaintes reçues font état de quelque 400 points de contrôle routiers mis en place par les militaires dans les provinces du Nord et de l’Est pour décourager les Tamouls d’aller voter. « Selon l’opposition, ces contrôles visent à tenir les électeurs éloignés des bureaux de vote, mais les autorités nous disent que l’armée ne joue aucun rôle dans ces élections ; il nous reste à voir si cela sera bien le cas », a expliqué à la presse Shahabuddin Yaqoob Quraishi, ancien responsable de la commission électorale de l’Union indienne. Le chef des observateurs électoraux a ajouté que la journée du 5 janvier devait être consacrée à des missions sur le terrain afin d’observer les derniers meetings électoraux.

Selon l’AFP, le 3 janvier, lors de l’un de ces meetings électoraux, organisé par le principal candidat de l’opposition, Maithripala Sirisena, des hommes armés auraient ouvert le feu et blessé une personne. La veille, des pierres avaient été lancées contre des partisans du même Sirisena lors d’un autre meeting et une vingtaine d’entre eux avaient été blessés. Des observateurs locaux des opérations pré-électorales disent avoir reçu quelque 1 100 plaintes ; la police, quant à elle, fait état de 130 interpellations liées à la campagne électorale.

A 48 heures du scrutin, l’issue de celui-ci reste incertaine. Alors qu’il y a quelques mois, le président sortant, Mahinda Rajapaksa, tablait sur une réélection sans réelle difficulté, ces dernières semaines ont changé la donne. Lorsqu’en novembre dernier, le président avait convoqué des élections anticipées pour le 8 janvier, il savait que le temps jouait contre lui et qu’il ne pourrait plus compter encore longtemps sur la gloire acquise en 2009 lors de l’écrasement de la rébellion des Tigres tamouls. L’opposition était divisée et le président et sa famille tenaient en main l’essentiel des rouages de l’Etat.

C’était toutefois sans compter sur la défection surprise de Maithripala Sirisena, son ministre de la Santé et secrétaire général de son parti. En quelques semaines, ce dernier a su rallier les opposants à Rajapaksa et, même si le scrutin du 8 janvier voit 19 candidats se disputer la faveur des 15 044 490 inscrits sur les listes électorales, l’issue du scrutin se jouera entre Rajapaksa et lui. Plutôt qu’une adhésion à la personne de Sirisena, c’est bien le rejet de Rajapaksa, de sa propension à l’autocratie et de son penchant pour le népotisme qui semble rassembler la minorité tamoule, la minorité musulmane, l’opposition cinghalaise et jusqu’à une portion du parti présidentiel. Les analystes politiques locaux prédisent un score très serré.

Le 22 décembre dernier, lorsque le ministre de l’Industrie et du Commerce, le musulman Rishad Bathiudeen, avait annoncé que lui et son parti, le All Ceylon Makkal Congress (ACMC), quittaient la majorité présidentielle pour rejoindre Sirisena et l’opposition, la raison qu’il avait donnée avait été la suivante : « J’ai demandé au président [Rajapaksa] de faire cesser les attaques haineuses menées sur une base religieuse, mais il n’a rien fait pour que les responsables [de ces attaques] soient arrêtés. » Le leader musulman accusait le gouvernement d’être derrière les attaques menées par des bouddhistes radicaux sur la ville côtière d’Aluthgama en juin dernier, attaques dirigées contre la communauté musulmane et qui avaient fait quatre morts. Les musulmans, distincts de la majorité cinghalaise de la population et de la minorité tamoule, représentent 10 % des 21 millions d’habitants du pays.

Face à cette incertitude quant à l’issue du scrutin, bon nombre de Sri Lankais s’inquiètent des violences qui ne manqueront pas d’éclater, assurent-ils, dès le 8 janvier au soir ou le lendemain en cas de contestation des opérations électorales et du décompte des bulletins de vote. Les catholiques, qui forment une minorité d’environ 7 % de la population, s’inquiètent eux aussi de ces possibles violences, à très peu de jours de l’arrivée du pape François, prévue le 13 au matin à l’aéroport international de Colombo.

Les responsables de l’Eglise, pour leur part, refusent de commenter l’actualité politique à l’avant-veille du scrutin présidentiel et renvoient aux dernières déclarations publiques du cardinal Malcolm Ranjith, archevêque de Colombo. Le 28 décembre dernier, celui-ci invitait tous les Sri Lankais, quelle que soit leur appartenance politique, à faire bon accueil au pape. « Le gagnant et le perdant [de l’élection présidentielle] devront tous deux venir pour accueillir le Saint Père », déclarait-il, ajoutant : « Nous devons croire en la bonté des êtres humains, quelles que soient les passions qui les animent. Ces passions seront toujours présentes mais c’est la bonté de l’homme qui doit prévaloir, tout spécialement en période post-électorale. Nous attendons donc des candidats qu’ils se comportent en êtres civilisés, avant comme après les élections. » Pressé de questions quant à une possible annulation de la venue du pape en cas de troubles graves, le cardinal a répondu : « S’il existe une menace de violences ou si les circonstances, le moment venu, indiquent que la visite papale risque de se dérouler dans un environnement violent, alors nous prendrons les mesures nécessaires. » (eda/ra)

(Source: Eglises d'Asie, le 6 janvier 2015)