Le 21 février dernier, à Paris, lors de la dixième « Journée internationale de la langue maternelle », l’UNESCO a présenté la troisième édition de son Atlas des langues en danger dans le monde. Il y est souligné qu’environ 2 500 langues sur les 6 000 langues parlées aujourd’hui de par le monde sont, à un degré ou à un autre, en danger, face à l’hégémonie de plus en plus forte de quelques grandes langues dominantes. A la rubrique « Taiwan », on peut lire qu’en l’espace de 50 ans, sept idiomes aborigènes ont disparu, sept sont « en situation critique », un est « sérieusement en danger » et neuf sont « en danger » (1). Pour Mgr John Baptist Tseng King-zi, évêque auxiliaire du diocèse catholique de Hualien, ces faits sont indéniables et cette réalité serait aujourd’hui beaucoup plus sombre sans le travail considérable mené par les missionnaires étrangers pour préserver et mettre par écrit ces langues.

Mgr Tseng, qui préside la Commission pour l’apostolat des aborigènes de la Conférence des évêques catholiques de Taiwan, présente la particularité, au sein de l’épiscopat, d’être le seul évêque d’origine aborigène, les autres étant, soit des Chinois venus du continent, soit des Taiwanais. Appartenant à l’ethnie des Puyuma, il parle une langue qui compte aujourd’hui environ 10 000 locuteurs – ce qui la place au nombre des langues considérées par l’UNESCO comme étant « en danger ». Le 25 février dernier, il a répondu aux questions de l’agence Ucanews sur l’importance de la question linguistique à Taiwan et au sein de l’Eglise catholique locale (2).

Mgr Tseng rappelle qu’avant 1949 – date de l’arrivée sur l’île des nationalistes du Kouomintang –, on comptait environ 40 groupes linguistiques aborigènes. Après cette date, les aborigènes ont été obligés d’apprendre le mandarin, la langue officielle, et d’adopter les us et coutumes chinois. « Parler notre langue maternelle à l’école était comme commettre un péché », explique l’évêque, aujourd’hui âgé de 66 ans. Dans un tel climat, ce sont les missionnaires étrangers qui ont le plus contribué à sauver les langues aborigènes. Ce sont eux qui, en utilisant l’alphabet romain, ont mis par écrit des langues qui, jusque là, n’étaient qu’orales; ce sont eux qui ont rédigé dictionnaires, grammaires et manuels d’apprentissage pour ces langues; et ce sont eux qui ont assumé les risques que ce travail représentait. En effet, dans le cadre de la politique d’assimilation alors en vigueur, défendre ces langues était considéré comme aller contre la politique d’imposition du mandarin, et des missionnaires qui ont traduit la Bible dans ces langues aborigènes ont vu leur visa révoqué, sans espoir de retour à Taiwan.

« Même si nos langues s’éteignent au cours des décennies à venir, au moins elles existeront dans les livres et les générations futures sauront que nous avons existé », explique Mgr Tseng. Aujourd’hui, poursuit-il, si la politique autoritaire du Kouomintang a disparu à la faveur de la démocratisation de l’île, au cours des années 1980, le mal est fait. Le DPP (Democratic Progressive Party) a bien pu, en 2000, amender la Constitution pour qu’y soit inscrite la préservation des langues et des cultures aborigènes, mais l’écrasante majorité de la population chinoise Han ne voit pas l’intérêt économique à apprendre les langues aborigènes, qui sont de moins en moins parlées.

En 2008, sur une population de 23 millions d’habitants, on compte 490 000 aborigènes, répartis en 14 groupes principaux, et il est estimé que seulement un tiers d’entre eux sont capables de s’exprimer correctement dans leur langue maternelle. Ceux des aborigènes qui sont restés vivre dans des villages isolés de montagne maintiennent vivantes leurs langues, mais tous ceux qui ont migré vers les villes, les jeunes notamment, passent rapidement au mandarin.

Dans un certain nombre de villages, la situation est telle que c’est le prêtre, missionnaire ou autochtone, qui figure, bien malgré lui, parmi les plus ardents défenseurs des langues aborigènes. Des prêtres issus des ethnies aborigènes peuvent ainsi célébrer la messe dans leur langue, alors qu’eux-mêmes ne maîtrisent qu’imparfaitement cette langue et utilisent le mandarin lorsqu’ils s’adressent, en dehors de la messe, aux jeunes. Mgr Tseng lui-même se désole du fait que pratiquement plus personne, parmi les moins de 60 ans, ne maîtrise le puyuma. « Quelle tristesse de voir que les grands-parents doivent apprendre le mandarin pour communiquer avec leurs petits-enfants ! », explique-t-il. Dans sa paroisse, à Taitung, la liturgie est certes célébrée en puyuma mais, pour les lectures et l’homélie, le célébrant utilise tour à tour le puyuma et le mandarin pour être sûr d’être compris par les jeunes générations.

Sur les 490 000 aborigènes, on compte 90 % de chrétiens, en majorité protestants. Environ 100 000 d’entre eux sont catholiques; ils représentent un tiers de l’Eglise catholique à Taiwan.

(1) L’Atlas de l'UNESCO classe les langues en danger selon cinq niveaux de vitalité: vulnérable, en danger, sérieusement en danger, en situation critique (i.e. en voie d’extinction), éteinte.

(2) Ucanews, 4 mars 2009.

(Source: Eglises d'Asie, 23 mars 2009)