Eglises d’Asie, 9 mars 2010 – Tandis que la perspective de la réunion de l’Assemblée nationale des représentants politiques est repoussée à la seconde moitié de l’année 2010, des anniversaires sont célébrés dans la discrétion à Shanghai et des nominations préparées dans le secret par Pékin.

Selon Anthony Liu Bainian, vice-président de l’Association patriotique des catholiques chinois et homme fort de la politique religieuse du gouvernement chinois visà-vis de l’Eglise catholique, l’Assemblée nationale des représentants catholiques ne devrait pas être convoquée avant la seconde moitié de l’année 2010. Repoussée à plusieurs reprises, cette assemblée aurait normalement dû se tenir l’an dernier mais les autorités chinoises avaient sans doute estimé que les conditions n’étaient pas réunies pour la convoquer. Une des tâches principales de l’Assemblée, qui réunit les évêques « officiels » de la Conférence épiscopale de Chine et les dirigeants de l’Association patriotique des catholiques chinois, sera d’élire les présidents de ces deux entités – ou plus exactement d’entériner le choix fait par Pékin pour ces postes.

En attendant, plusieurs anniversaires ont été célébrés avec la plus grande discrétion à Shanghai. Ce diocèse présente la particularité de compter deux évêques, l’un « officiel » et l’autre « clandestin », qui sont tous deux âgés et reconnus par Rome. En juin 2005, un nouvel évêque auxiliaire, Mgr Joseph Xing Wenzhi, a été ordonné pour ce diocèse, étant entendu qu’il serait seul appelé à prendre, le temps venu, la succession des deux évêques en question, Mgr Aloysius Jin Luxian et Mgr Josep Fan Zhongliang (1).

Le 27 février dernier, Mgr Fan Zhongliang a fêté le 25ème anniversaire de son ordination épiscopale. Aujourd’hui âgé de 91 ans, Mgr Fan, jésuite, est l’évêque « clandestin » de Shanghai, qualité que refuse de lui reconnaître le gouvernement chinois. Atteint par la maladie d’Alzheimer, Mgr Fan a célébré son jubilé alité. Soigné par un médecin catholique à la retraite, il n’accepte plus les visites à son chevet. A la communauté catholique « clandestine » de Shanghai, il a été demandé de prier pour l’évêque, sans organiser de grandes messes de jubilé (2).

Un mois plus tôt, c’était Mgr Jin Luxian qui célébrait le 25ème anniversaire de son ordination épiscopale. Aujourd’hui âgé de 93 ans, Mgr Jin appartient lui aussi à la Compagnie de Jésus. Ordonné évêque auxiliaire de Shanghai sans mandat pontifical le 27 janvier 1985, Mgr Jin a longtemps personnifié, notamment à l’étranger, le choix d’une partie du clergé chinois d’exercer le ministère pastoral au sein des structures mises en place par les autorités gouvernementales. Plus tard, lors des contacts avec Rome qui ont précédé l’ordination de son successeur, Mgr Joseph Xing Wenzhi, Mgr Jin Luxian a demandé et obtenu de Rome que son ordination épiscopale soit reconnue par le Saint-Père. Là encore, le jubilé de Mgr Jin a été célébré dans la plus grande discrétion.

C’est finalement aux Etats-Unis que ces anniversaires ont été le plus marqués, par le truchement de la messe célébrée pour le dixième anniversaire de la mort de Mgr Kung Pinmei. Le 6 mars dernier, à Stamford (Connecticut), la Fondation du cardinal Kung, animée par Joseph Kung, neveu du prélat, a organisé une messe célébrée par l’évêque de Bridgeport, Mgr William Lori. La fondation, qui entretient la mémoire de Mgr Kung et qui dénonce les atteintes à la liberté religieuse en Chine, notamment celles dont sont victimes les catholiques « clandestins », a invité à « prier pour la liberté religieuse dans le monde, tout particulièrement pour l’Eglise catholique en Chine » (3).

Le diocèse de Shanghai compte quelque 150 000 fidèles, au service desquels sont 91 prêtres « officiels » et 50 prêtres « clandestins ».

Dans ce contexte d’attente – pour l’Assemblée nationale des représentants catholiques – et d’anniversaires célébrés mezza voce pour des prélats très âgés, les contacts entre le Saint-Siège et Pékin continuent. Des délégations du Vatican se sont ainsi rendues en Chine populaire à l’invitation du gouvernement central en décembre 2008, puis en février 2009 et à nouveau en juin 2009. Aucune information n’a filtré quant aux résultats éventuels de ces contacts. Comme l’indique un article paru en mai 2009 dans le Wen Wei Po, quotidien pro-Pékin de Hongkong, les dirigeants chinois réfléchiraient à une redéfinition de leur politique religieuse, qui n’abandonnerait en rien les principes d’autonomie et d’indépendance des religions en Chine mais qui donnerait une « explication raisonnable » à ces principes constitutionnels, dans un sens acceptable par le Saint-Siège (4). Le principe d’indépendance ne s’appliquerait plus aux aspects religieux de la vie de l’Eglise catholique en Chine et ne garderait plus qu’une seule portée politique.

Loin de ces spéculations, une source catholique citée par l’agence Ucanews (5) indique que la raison du report répété de la convocation de l’Assemblée nationale des catholiques chinois réside dans le fait que les autorités chinoises tiennent à voir nommés et ordonnés prochainement un certain nombre d’évêques « officiels ». Ceux-ci prendraient la tête des nombreux sièges épiscopaux actuellement vacants et viendraient renforcer les rangs de l’Assemblée. Pour le poste sensible de président de l’Association patriotique, organe dénué de toute légitimité aux yeux de Rome, les autorités poussent la candidature de Mgr Joseph Ma Yinglin, évêque de Kunming et actuellement vice-président de l’Association. Un tel choix ne pourrait que compliquer les relations entre Pékin et le Saint-Siège, l’évêque de Kunming ayant été ordonné sans mandat pontifical.

(1) Voir EDA 422, 423
(2) Né en 1918, baptisé à l’âge de 14 ans, Mgr Fan est entré en 1938 dans la Compagnie de Jésus, pour laquelle il a été ordonné prêtre en 1951. Témoin de premier plan de la mise en place de la politique religieuse des communistes, il est arrêté en 1955 en même temps que de nombreux autres prêtres et de son évêque, Mgr Ignatius Kung (Gong) Pinmei. Condamné en 1958 pour activités contre-révolutionnaires, il passera les vingt années suivantes en prison puis en camps de rééducation par le travail, notamment dans le Qinghai (nord-ouest du pays). Libéré en 1978, il doit rester sur place et enseigne dans un lycée du Qinghai, avant que l’évêque du Qinghai l’ordonne en secret évêque coadjuteur de Shanghai, le 27 février 1985, son évêque, Mgr Kung, étant toujours retenu en détention.
(3) Né en 1901, ordonné prêtre en 1930, consacré évêque de Soochow (Suzhou) le 7 octobre 1949, six jours après la prise du pouvoir par les communistes, le cardinal Kung incarne la résistance des catholiques à la politique religieuse des communistes. Nommé évêque de Shanghai et administrateur apostolique de Nankin (Nanjing) en 1950, le cardinal a été arrêté en 1955 pour passer les trente années suivantes à l’isolement. Libéré en 1985, il fut autorisé à partir se soigner aux Etats-Unis en 1988, où il mourut, douze années plus tard, le 12 mars 2000 à Stamford, à l’âge de 98 ans. En 1979, alors qu’il était toujours en prison, Jean Paul II l’avait nommé cardinal in pectore, ne révélant cette information qu’en 1991.
(4) Voir EDA 514, 519, 523
(5) Ucanews, 4 mars 2010.


(Source: Eglises d'Asie, 9 mars 2010)