Eglises d’Asie, 18 juin 2010 – A mesure que Bangkok retrouve son visage d’avant les événements qui, il y a près d’un mois, ont fait 88 morts et des centaines de blessés, des catholiques prennent position pour demander que l’Eglise s’implique davantage dans le processus de réconciliation nationale. Ils estiment que la présence des institutions catholiques dans les domaines caritatif et éducatif ne suffit pas.
Dans l’immédiat, il importe que la vérité soit faite sur les violences commises durant les semaines qui ont vu « les chemises rouges » occuper le pavé de tout un quartier du centre de la capitale. Le Premier ministre Abhisit Vejjajiva a promis la mise en place d’une enquête indépendante sur ces violences (1). Sarawut Pathumraj, membre de la Commission ‘Justice et Paix’ de la Conférence des évêques catholiques de Thaïlande, estime qu’« il est nécessaire que l’Eglise soit impliquée dans cette enquête, par respect pour la mémoire de ceux qui ont perdu la vie durant la crise politique ». En Thaïlande, où les catholiques représentent à peine 0,5 % de la population, ‘Justice et Paix’ doit « travailler avec d’autres secteurs de la société afin que la vérité soit connue de tous au plus vite », affirme le responsable catholique.
Parinya Boonridrerthaikul dirige Amnesty International Thailand. Catholique, elle craint que la mise au pas des principaux médias du pays par l’actuel gouvernement ne complique la recherche d’un nouveau consensus national. Elle estime que les médias catholiques devraient se faire l’écho des problèmes sociaux que connaît le pays et les responsables de l’Eglise utiliser leurs homélies pour amener chacun à se montrer solidaire avec les plus pauvres.
Aumônier laïque en milieu universitaire, Naris Maneekaew voudrait, quant à lui, que l’Eglise catholique, très présente dans le domaine de l’éducation, utilise ce levier d’influence pour transformer la société. « Le défi qui se présente à l’Eglise est de rendre impérieux le respect pour les droits de l’homme et la justice. Chacune de ses institutions éducatives doit devenir un vecteur de ces valeurs auprès de la jeunesse thaïlandaise », explique-t-il.
Rungtip Imrungruang travaillait il y a quelques années comme coordinatrice au sein de la Commission épiscopale ‘Justice et Paix’. Elle œuvre désormais au sein d’ActionAid Thailand, une ONG de développement. « L’action sociale de l’Eglise s’est toujours centrée sur les œuvres caritatives. C’est bien, mais nous devons aussi participer à la résolution des problèmes sur le terrain, pour trouver des solutions durables. L’Eglise initie ou participe à de nombreuses actions de développement partout dans le pays mais ce travail débouche souvent sur une dépendance, pas sur un vrai développement. Nous devons nous attaquer aux causes des problèmes, même si cela signifie pour nous de nous engager en politique », argumente-t-elle.
En écho à ces propos, des prêtres catholiques installés dans le nord-est du pays témoignent du profond ressentiment qui s’exprime dans la population. Les inégalités sociales sont un des facteurs mis en avant. Dans la province de Kalasin, province rurale du nord-est, le P. Chalong Kaew-Asa analyse: « La pauvreté absolue a reculé dans les villages, mais les autorités devraient, rapidement et avec un calendrier précis, s’attaquer à la question de la redistribution des terres et de la réduction des dettes. » La croissance économique n’a pas atténué, au contraire, le fossé qui sépare les pauvres des riches, poursuit-il.
« Aujourd’hui, la Thaïlande est divisée et les gens se méfient les uns des autres », explique le P. Bunlu Guiedthatree, du district de Nikomkhamsoi dans la province de Mukdahan, frontalière avec le Laos. Beaucoup de militants des « chemises rouges » descendus à Bangkok en mai et juin venaient de ces provinces du nord et du nord-est. Après la dispersion par la force du dernier carré « rouge » à Bangkok le 19 mai dernier, Mukdahan a été du nombre des provinces où les « chemises rouges » ont incendié des bâtiments officiels. Depuis, les autorités centrales mènent une campagne de répression dans ces régions rurales. Des assassinats ciblés ont eu lieu (2). A Mukdahan, depuis le 12 juin, des troupes de l’armée qui doivent être prochainement envoyées dans le sud du pays, en proie à une rébellion larvée de groupuscules musulmans, ont été déployées pour des « exercices ». « Les gens qui ont soutenu les ‘rouges’ se sentent surveillés », précise le P. Bunlu.
« Les Thaïlandais doivent retrouver un sentiment d’appartenance pour résoudre les conflits qui les divisent, explique le prêtre catholique. Tous, nous faisons partie du problème. Certains parce qu’ils commettent des actes de violence, d’autres parce qu’ils les légitiment, d’autres encore parce qu’ils ne font rien pour les empêcher. Aucun d’entre nous n’est sans tache. »
Selon le P. Wimanjai Navaen, curé de la paroisse St. Edward, dans le district de Dontan (province de Mukdahan), parmi les « rouges » et ceux qui les ont soutenus, nombreux sont ceux qui sont aujourd’hui très en colère. « Cela prendra beaucoup, beaucoup de temps pour que se réconcilient les Thaïlandais. Il ne s’agit pas de dépasser les divisions du passé, mais celles d’aujourd’hui », explique-t-il.
(1) Voir EDA 531
(2) Cf. « Derrière le rideau de la ‘normalité’, la répression sévit », par Arnaud Dubus, Le Temps, 16 juin 2010.
(Source: Eglises d'Asie, 18 juin 2010)
Dans l’immédiat, il importe que la vérité soit faite sur les violences commises durant les semaines qui ont vu « les chemises rouges » occuper le pavé de tout un quartier du centre de la capitale. Le Premier ministre Abhisit Vejjajiva a promis la mise en place d’une enquête indépendante sur ces violences (1). Sarawut Pathumraj, membre de la Commission ‘Justice et Paix’ de la Conférence des évêques catholiques de Thaïlande, estime qu’« il est nécessaire que l’Eglise soit impliquée dans cette enquête, par respect pour la mémoire de ceux qui ont perdu la vie durant la crise politique ». En Thaïlande, où les catholiques représentent à peine 0,5 % de la population, ‘Justice et Paix’ doit « travailler avec d’autres secteurs de la société afin que la vérité soit connue de tous au plus vite », affirme le responsable catholique.
Parinya Boonridrerthaikul dirige Amnesty International Thailand. Catholique, elle craint que la mise au pas des principaux médias du pays par l’actuel gouvernement ne complique la recherche d’un nouveau consensus national. Elle estime que les médias catholiques devraient se faire l’écho des problèmes sociaux que connaît le pays et les responsables de l’Eglise utiliser leurs homélies pour amener chacun à se montrer solidaire avec les plus pauvres.
Aumônier laïque en milieu universitaire, Naris Maneekaew voudrait, quant à lui, que l’Eglise catholique, très présente dans le domaine de l’éducation, utilise ce levier d’influence pour transformer la société. « Le défi qui se présente à l’Eglise est de rendre impérieux le respect pour les droits de l’homme et la justice. Chacune de ses institutions éducatives doit devenir un vecteur de ces valeurs auprès de la jeunesse thaïlandaise », explique-t-il.
Rungtip Imrungruang travaillait il y a quelques années comme coordinatrice au sein de la Commission épiscopale ‘Justice et Paix’. Elle œuvre désormais au sein d’ActionAid Thailand, une ONG de développement. « L’action sociale de l’Eglise s’est toujours centrée sur les œuvres caritatives. C’est bien, mais nous devons aussi participer à la résolution des problèmes sur le terrain, pour trouver des solutions durables. L’Eglise initie ou participe à de nombreuses actions de développement partout dans le pays mais ce travail débouche souvent sur une dépendance, pas sur un vrai développement. Nous devons nous attaquer aux causes des problèmes, même si cela signifie pour nous de nous engager en politique », argumente-t-elle.
En écho à ces propos, des prêtres catholiques installés dans le nord-est du pays témoignent du profond ressentiment qui s’exprime dans la population. Les inégalités sociales sont un des facteurs mis en avant. Dans la province de Kalasin, province rurale du nord-est, le P. Chalong Kaew-Asa analyse: « La pauvreté absolue a reculé dans les villages, mais les autorités devraient, rapidement et avec un calendrier précis, s’attaquer à la question de la redistribution des terres et de la réduction des dettes. » La croissance économique n’a pas atténué, au contraire, le fossé qui sépare les pauvres des riches, poursuit-il.
« Aujourd’hui, la Thaïlande est divisée et les gens se méfient les uns des autres », explique le P. Bunlu Guiedthatree, du district de Nikomkhamsoi dans la province de Mukdahan, frontalière avec le Laos. Beaucoup de militants des « chemises rouges » descendus à Bangkok en mai et juin venaient de ces provinces du nord et du nord-est. Après la dispersion par la force du dernier carré « rouge » à Bangkok le 19 mai dernier, Mukdahan a été du nombre des provinces où les « chemises rouges » ont incendié des bâtiments officiels. Depuis, les autorités centrales mènent une campagne de répression dans ces régions rurales. Des assassinats ciblés ont eu lieu (2). A Mukdahan, depuis le 12 juin, des troupes de l’armée qui doivent être prochainement envoyées dans le sud du pays, en proie à une rébellion larvée de groupuscules musulmans, ont été déployées pour des « exercices ». « Les gens qui ont soutenu les ‘rouges’ se sentent surveillés », précise le P. Bunlu.
« Les Thaïlandais doivent retrouver un sentiment d’appartenance pour résoudre les conflits qui les divisent, explique le prêtre catholique. Tous, nous faisons partie du problème. Certains parce qu’ils commettent des actes de violence, d’autres parce qu’ils les légitiment, d’autres encore parce qu’ils ne font rien pour les empêcher. Aucun d’entre nous n’est sans tache. »
Selon le P. Wimanjai Navaen, curé de la paroisse St. Edward, dans le district de Dontan (province de Mukdahan), parmi les « rouges » et ceux qui les ont soutenus, nombreux sont ceux qui sont aujourd’hui très en colère. « Cela prendra beaucoup, beaucoup de temps pour que se réconcilient les Thaïlandais. Il ne s’agit pas de dépasser les divisions du passé, mais celles d’aujourd’hui », explique-t-il.
(1) Voir EDA 531
(2) Cf. « Derrière le rideau de la ‘normalité’, la répression sévit », par Arnaud Dubus, Le Temps, 16 juin 2010.
(Source: Eglises d'Asie, 18 juin 2010)