... et de nombreux commentaires, aussi bien chez les catholiques que dans les milieux pro-démocrates du Vietnam. Dans cet entretien à Radio France Internationale (RFI) du 18 avril 2011 (émissions en vietnamien), l’évêque s’en explique et précise le sens exact qu’il faut donner à cette signature. Il souligne en particulier que les illégalités qui ont entaché le procès en question témoignent du mauvais fonctionnement de la justice dans le pays et du malaise qui s’installe dans la société à ce sujet. Enfin, il revendique le droit de chaque citoyen à s’exprimer sur les grands problèmes du temps.
Aussitôt après le procès du 4 avril dernier (2), à l’issue duquel Cu Huy Ha Vu, docteur en droit, a été condamné à sept ans de prison et trois ans de résidence surveillée, le site Internet Bauxite Vietnam a mis en ligne une lettre ouverte adressée aux dirigeants du pays, réclamant la libération immédiate du juriste. Plus d’un millier de signataires issus de tous les milieux sont venus donner leur accord à cette lettre. Le nom de l’évêque, qui se trouve dans une seconde liste de signataires mise en ligne vers le milieu du mois d’avril, s’inscrit à la suite de celui de nombreuses personnalités, anciens généraux, officiers supérieurs, intellectuels connus aussi bien dans leur pays qu’à l’étranger, etc. L’entretien a été mis en ligne sur le site de Radio France Internationale (3) et sa traduction ci-dessous est de la rédaction d’Eglises d’Asie.
RFI : Monseigneur, le récent procès du docteur Cu Huy Ha Vu à Hanoi a provoqué de nombreuses réactions. En ce qui concerne l’Eglise catholique, jusqu’à présent, la Conférence épiscopale n’a pas élevé la voix bien qu’après le procès, un certain nombre de catholiques ont été emprisonnés pour avoir « troublé l’ordre public ». Or votre nom figure dans la liste des signataires de la requête demandant la libération de Cu Huy Ha Vu. Peut-on vous demander, Monseigneur, pourquoi vous avez signé cette requête ?
Mgr Hop : Comme bon nombre d’intellectuels et de nombreux Vietnamiens préoccupés par la démocratisation et le développement du pays, je m’inquiète de la situation sociale et culturelle du Vietnam. Chaque pays a ses propres lois et s’y conforme pour juger ceux qui sont considérés comme les ayant transgressées. Mais je suis troublé de constater que, ces derniers temps, de nombreux procès ne se sont pas déroulés conformément aux directives élémentaires du Code pénal. Telle est ma préoccupation, telle est mon inquiétude. L’affaire du Dr Cu Huy Ha Vu témoigne de cela encore plus clairement que les autres affaires. Son arrestation comporte de trop nombreux éléments arrangés d’avance.
RFI : En dehors des problèmes concernant le Code de procédure pénale vietnamien, le procès de Cu Huy Ha Vu pose de nombreuses questions à propos du droit des citoyens à la liberté d’expression. A votre avis, Monseigneur, les déclarations de Cu Huy Ha Vu sont-elles contraires à la loi et à la Constitution du Vietnam ?
Cela est difficile à dire car Dr Cu Huy Ha Vu est l’auteur de nombreux écrits et déclarations. Cependant, je pense que, dans une société normale, il faut s’efforcer d’accepter que les citoyens apportent leurs contributions et il se peut que celles-ci ne s’alignent pas à 100 % sur les positions politiques de l’Etat. Cela est normal. Mais, si, à cause d’elles, on arrête les auteurs et on les traduit devant un tribunal, comme cela été le cas dans l’affaire de Cu Huy Ha Vu, je vois là une source de préoccupation pour ce pays, une source d’inquiétude pour l’avenir de la démocratie et celui du pays dans son ensemble.
Fallait-il que les choses se passent ainsi ? C’est un point que moi-même ainsi que les autres signataires de la requête trouvons inquiétant. Le Vietnam a accepté de s’intégrer à la communauté internationale en reconnaissant diverses conventions, plus particulièrement, la Déclaration universelle des droits de l’homme. Naturellement, nous concevons que le processus de démocratisation et sa normalisation ne peuvent se faire en un instant, et ont besoin de faire leur chemin. Ces derniers temps, comme un certain nombre d’autres personnes, j’ai été inquiet de voir que ce processus semblait se ralentir, et même reculer alors qu’il aurait dû s’accélérer et que les droits des citoyens à émettre leur opinion dans les questions nationales auraient dû aller en augmentant.
Nous avons été témoins ces temps derniers, d’affaires comme celle de Vinashin (4), ou encore, tout récemment, de l’affaire d’un organisme d’investissement et de prêt qui a accusé une perte financière de 3 000 milliards de dôngs (100 millions d’euros) (5). Ce sont des affaires que le peuple a besoin de connaître plus en détail. Il y a aussi les questions concernant les frontières du pays. La population devrait être informée plus largement et pouvoir apporter sa contribution. C’est une question qui préoccupe le peuple en raison des intérêts nationaux et de l’avenir du pays.
Cela fait aussi partie des préoccupations des catholiques qui sont aussi des citoyens. A vrai dire, nous devrions pouvoir apporter notre contribution et mieux dialoguer. Mais les autorités utilisent un certain nombre d’affaires pour refuser toute divergence d’opinion. J’ai l’impression que ces affaires récentes ont encore ajouté à notre inquiétude. Nos opinions constructives non seulement ne sont pas respectées, mais elles sont, en outre, repoussées avec violence et condamnées. Ainsi, les formes du procès n’ont pas été conformes aux conditions élémentaires du Code de procédure pénale. Cela m’a profondément soucié ainsi que beaucoup d’autres. C’est la raison pour laquelle j’ai signé la requête.
(1) Cu Huy Ha Vu est docteur en droit. Il n’exerce pas la provision d’avocat mais dirige un cabinet juridique à Hanoi.
(2) Voir le récit du procès dans EDA 549.
(3) http://www.viet.rfi.fr/contenu/20110418-giam-muc-nguyen-thai-hop-0
(4) Vinashin est l’appellation d’une entreprise publique de construction navale en banqueroute frauduleuse. L’affaire a été découverte par le public au mois de juillet 2010. De nombreuses personnalités y ayant été compromises, la presse officielle en largement parlé. L’affaire a également fait l’objet de débats à l’Assemblée nationale.
(5) L’affaire est toute récente. Le 18 avril dernier, M. Vu Quoc Bao, le président-directeur général de cette société, « ALCII », a été placé en détention provisoire, ainsi que deux autres dirigeants d’entreprise, jugés directement responsables de la perte des 3 000 milliards de dôngs.