Le diocèse de Huê est au cœur de l’actualité vietnamienne, suite à l’attaque du monastère bénédictin de Thiên An par un groupe de 150 personnes le 28 juin dernier. Mgr Joseph Nguyên Chi Linh, 67 ans, est archevêque de Huê depuis le 29 octobre dernier et président de la Conférence épiscopale du Vietnam depuis le 5 octobre 2016. De passage à Paris, il a accepté de répondre aux questions de la rédaction d’Eglises d’Asie.

Eglises d’Asie : Mercredi 28 juin, un groupe de 150 personnes a pénétré sur la propriété du monastère bénédictin de Thiên An, situé à quelques kilomètres de Huê, et a détruit un Christ en croix. Ce n’est pas la première fois que de telles violences se manifestent, celles-ci s’inscrivent dans le cadre d’un conflit foncier ancien. Pouvez-vous nous expliquer la situation ?

Mgr Joseph Nguyên Chi Linh : Le monastère disposait auparavant d’un terrain d’une superficie de 107 hectares environ. Mais le Code civil vietnamien ne reconnait pas le droit à la propriété privée. Par conséquent, les autorités ne reconnaissent pas le droit de propriété du monastère sur ce terrain.

Cette querelle a commencé il y a une dizaine d’années ; c’est devenu une véritable dispute. Les autorités ont volé la propriété des moines, ce terrain, pour le vendre à des entreprises étrangères, des entreprises de tourisme [NLDR : les autorités se sont appropriées 50 ha, allouées à un parc de loisirs]. Et puis, c’est leur manière de faire : les autorités souhaitent faciliter l’investissement des entreprises, locales ou étrangères, et vendent ces propriétés. Elles se moquent des droits des organisations religieuses, et, en l’occurrence, des droits du monastère.

Les catholiques de l’archidiocèse de Huê sont très minoritaires et demeurent blessés par les massacres commis pendant l’Offensive du Têt [NLDR : attaque surprise des combattants du Nord-Vietnam à l’occasion de la fête du Têt en 1968 ; dans cette ville, les combats seront particulièrement longs, ils dureront 28 jours, et meurtriers], donc personne n’ose élever la voix. On laisse les moines se débrouiller eux-mêmes. Et les autorités civiles font ce qu’elles veulent. J’ai visité le monastère [le 16 juin dernier], et les moines ont dû considérer que l’archevêché soutenait leur revendication. Je devine que les moines ont redressé la croix [le 26 juin 2017], ce qui a suscité une réaction, violente, de la part des autorités [le 28 juin]. Vous savez, dans ce pays, 77 % des litiges concernent le foncier.

Cette semaine aussi, un blogueur catholique franco-vietnamien, Pham Minh Hoang, a été déchu de sa nationalité et expulsé du pays. Le 29 juin, une blogueuse catholique, Nguyên Ngoc Nhu Quynh, plus connue sous le nom de ‘Maman Champignon’, a été condamnée à dix ans de prison pour « propagande contre le gouvernement communiste ». Le P. John Nguyên Ngoc Nam Phong, curé de la paroisse de Thai Ha, à Hanoi, un prêtre engagé, notamment sur les questions foncières, a été interdit de quitter le territoire, alors qu’il devait se rendre en Australie. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Le régime communiste est toujours un régime dictatorial, donc les autorités ont tendance à opprimer les voix opposantes. Les blogueurs sont considérés comme des provocateurs, qui suscitent des émeutes.

Le P. John Nguyên Ngoc Nam Phong a été puni pour son comportement anticommuniste. Dans ses allocutions, dans ses homélies, il accuse très souvent les autorités. Cela fait longtemps qu’il est dans le collimateur de la Sécurité publique. Ce n’est donc pas la première fois. Beaucoup d’opposants sont punis comme cela, pour qu’ils ne disent pas du mal du régime à l’étranger.

Les prêtres qui se sont mobilisés en faveur des Vietnamiens touchés par la catastrophe écologique provoquée par l’entreprise Formosa font l’objet d’intimidation. Les manifestations ont été brutalement réprimées. La rédaction d’Eglises d’Asie a rencontré récemment Mgr Paul Nguyên Thai Hop, qui menait une délégation en Europe pour sensibiliser l’opinion internationale au sujet de cette catastrophe environnementale. La Conférence épiscopale s’est également prononcée. La situation environnementale a-t-elle évolué au Vietnam ?

Rien n’a changé. Car le gouvernement a toujours peur de reconnaitre la vérité concernant le scandale Formosa. Mais le gouvernement admet désormais que c’est une catastrophe et constate que le Vietnam n’est pas encore assez expérimenté pour gérer de telles affaires. Le pays n’a pas suffisamment de spécialistes, et c’est une leçon qu’il paye très cher.

Concernant l’indemnisation, on est toujours confronté au même problème de corruption. Le montant n’est pas très élevé, au regard du préjudice subi, et a été détourné par les autorités civiles. En outre, selon la rumeur, ce sont les Chinois qui ont investi ; les Taïwanais ne seraient que des prête-noms.

Quant à Mgr Hop, il a mécontenté fortement les responsables du Bureau des Affaires religieuses. Ces derniers ont proposé d’« excuser » Mgr Hop. C’est-à-dire qu’ils souhaitent que le Saint-Siège rappelle Mgr Hop à Rome, ou qu’il l’envoie à la retraite.

La Conférence épiscopale a récemment adressé ses « remarques sincères et franches » relatives à la Loi sur les croyances et la religion, le 1er juin dernier, aux autorités.

De manière générale, avec cette loi, on observe des reculs, pas des progrès ; nous ne disposons toujours pas d’une vraie liberté. Par exemple, il existe plusieurs domaines dans lesquels l’Eglise n’a pas le droit de s’engager, tels que la santé, l’éducation, etc. On n’est pas non plus sorti de la mentalité du système dit « de la demande et de l’octroi » (‘xin-cho’) [NDLR : expression qui décrit le fait que l’Eglise se voit dans l’obligation de demander une autorisation pour tout ce qu’elle entreprend, le régime en place octroyant ou non son autorisation].

C’est une déception, partagée par les autres religions, même si elles ne sont pas exprimées publiquement. Elles ont, en tout cas, apporté leur soutien à la Conférence épiscopale.

Et concernant la nomination des évêques, êtes-vous désormais libres ?

Non, pas du tout. L’Etat n’a pas le droit de proposer un évêque, mais il a le droit de refuser une nomination. Quand un candidat est nommé évêque, il faut l’approbation de l’Etat. En réalité, on n’a pas trop de problème en ce qui concerne les nominations dans les diocèses en province. Mais on en a avec les nominations pour les évêques des trois archidiocèses de Hanoi, Huê et Saigon.

Le 29 juin, vous étiez à Rome. J’ai tout récemment été nommé archevêque de Huê [le 29 octobre dernier]. Dans la tradition de l’Eglise catholique, les nouveaux archevêques viennent à Rome pour la remise du pallium des mains du pape. Cette cérémonie a lieu le 29 juin, lors de la fête de saint Paul et saint Pierre. Trente-six archevêques ont reçu le pallium cette année.

Pour moi, c’est une grande joie. On sent, d’une manière très visible, la communion de l’Eglise universelle. C’est très impressionnant. Et il y avait beaucoup d’invités : des représentants des autres religions, des musulmans, des orthodoxes, des rites particuliers, des diplomates aussi, de tous les niveaux, et même des Premiers ministres. L’ambiance était très « globale ». Tout est globalisé par le pape François.

La veille, le 28 juin, le pape avait créé cinq cardinaux, dont Mgr Louis-Marie Ling Mangkhanekhoun, évêque de Paksé, au Laos. Quelques mois après la béatification de 17 martyrs du Laos. Une source de réjouissance ?

Je partage la joie de l’Eglise du Laos car ce sont les premiers martyrs béatifiés. J’étais à Vientiane pour la cérémonie car, parmi les béatifiés, il y avait un prêtre de mon ancien diocèse de Thanh Hoa, le P. Thoa Tiên. C’était un membre du corps presbytéral de Thanh Hoa [cliquer ici pour consulter sa biographie].

Au Vietnam, le procès de béatification du cardinal François-Xavier Nguyên Van Thuân est en bonne voie.

Le cardinal Thuân a été élevé au niveau de vénérable. C’est mon ancien évêque de Nha Trang, c’est un authentique représentant de l’Eglise à cette période. Je suis fier de lui et je suis fier aussi de sa promotion spirituelle.

En 2018, l’Eglise du Vietnam fêtera les vingt ans de la béatification des martyrs du Vietnam. Comment allez-vous préparer cela ?

Pour le moment, des célébrations ont été organisées, en lien avec la visite ad limina des évêques à Rome en mars prochain. Il y aura certainement de grandes cérémonies et des prières ; on tâchera de mettre en relief la vie et l’histoire des martyrs. Ces cérémonies seront surtout destinées aux les jeunes.

Concernant les jeunes, les Journées asiatiques de la jeunesse se dérouleront cet été en Indonésie.

Pour les jeunes Vietnamiens, il y a un grand problème de langue car la majorité ne comprend pas l’anglais ou le français. Mais Mgr Pierre Nguyên Van Viên, évêque auxiliaire de Vinh, responsable de la pastorale des jeunes, organise la participation d’un groupe vietnamien à ces Journées.

La Birmanie et le Saint-Siège ont officiellement établi des relations diplomatiques lors de la rencontre au Vatican entre le Saint-Père et Aung San Suu Kyi, la Conseillère d’Etat birmane, le 4 mai dernier. Est-ce que cela pourrait avoir une incidence sur la présence d’un représentant permanent du Saint-Siège au Vietnam ?

Jusqu’à maintenant, on peut dire que nous sommes déçus : nous avons beaucoup attendu le moment où le Vietnam créerait des relations diplomatiques avec le Saint-Siège au niveau de la nonciature. Mais le représentant du Saint-Siège au Vietnam, Mgr Leopoldo Girelli, n’a toujours pas obtenu le droit de résider de manière permanente au Vietnam. Il est toujours « représentant non résident du Saint-Siège au Vietnam » ; il loge à Singapour et n’a droit de rester au Vietnam qu’un mois puis il lui faut sortir du pays.

Tous ses déplacements au Vietnam doivent être approuvés, autorisés par le ministère des Affaires étrangères vietnamien. Nos attentes sont mesurées, mais le gouvernement n’ose pas avancer sans l’aval des autorités chinoises. Alors la situation reste bloquée, on cherche toujours des prétextes pour refuser la présence permanente de Mgr Girelli au Vietnam.

Depuis le 5 octobre 2016, vous êtes le président de la Conférence épiscopale du Vietnam. La veille de votre élection, Nguyên Thiên Nhân, président du Comité central du Front patriotique, et membre de la plus haute instance politique du Parti, le Bureau politique, était venu vous saluer. Quelles relations entretenez-vous avec les autorités centrales ?

La visite de Nguyên Thiên Nhân a eu lieu sous la présidence de Mgr Paul Bui Van Doc, archevêque de Saigon. Je ne sais pas si ce dernier l’avait invité ou si c’était une initiative de Nguyên Thiên Nhân. Mais ces visites ne sont pas souhaitées dans le cadre d’une conférence épiscopale.

Je ne cache rien, j’exprime ce que je pense. Nous sommes moins réservés qu’autrefois. Nous sommes plus libres. Et les jeunes générations, les membres du Parti, les membres du gouvernement, sont plus formés qu’autrefois, plus ouverts. Ils sortent du pays et ont l’opportunité d’observer le traitement des affaires religieuses dans d’autres pays. Les mentalités, les manières de penser évoluent, changent.

Comment se porte l’Eglise au Vietnam ?

Je suis optimiste car, après une longue période de cohabitation, les membres de la société cherchent à se rapprocher. Communistes et catholiques se comprennent beaucoup mieux qu’autrefois.

Les catholiques sont de moins en moins suspectés. Autrefois, on était trop commandés par ce que disait la propagande. Désormais, on a la possibilité d’observer de ses propres yeux, et on a découvert que les catholiques ne sont pas mauvais comme on le pensait autrefois. Et puis le témoignage des catholiques devient de plus en plus positif. La haine, la rancœur diminuent. Les relations sont de plus en plus amicales.

Il faut être courageux pour surmonter cette période. Il faut être patient, on ne peut pas changer le pays en cinq minutes.

Pouvez-vous nous dire en dire davantage sur l’Institut catholique du Vietnam ? Il a été inauguré le 14 septembre dernier, les examens d’admission de la nouvelle promotion se sont déroulés les 7 et 8 juin derniers.

Mgr Joseph Dinh Duc Dao, du diocèse de Xuân Lôc, est le recteur de cet institut catholique. Nous avons beaucoup d’espoir mais, pour le moment, nous n’avons pas encore réussi à créer des locaux : on ne dispose pas d’un terrain, donc on a loué une école et commencé avec une seule classe. Nous ne disposons pas non plus suffisamment de professeurs professionnels, et les étudiants n’ont pas encore le niveau espéré. Il faut attendre encore un peu, tout va s’améliorer avec le temps.

Avant l’arrivée des communistes au pouvoir [en 1975], nous avions deux universités catholiques [à Da Lat et à Saigon]. Tout a été interdit, fermé, par les communistes ; les séminaires et les universités ont été confisqués. Ce n’est donc pas du tout une nouveauté, c’est une restauration de ce que nous avons perdu pendant des dizaines d’années.

Quid des vocations, sacerdotales et à la vie religieuse ?

Elles sont actuellement très abondantes au Vietnam. Que ce soit dans les séminaires ou dans les congrégations religieuses. On a obtenu une certaine liberté dans l’organisation des activités des centres de formation. Avant, on pratiquait une politique de quota ; pour envoyer un jeune dans un séminaire, il fallait avoir l’approbation de l’Etat. Chaque diocèse avait le droit d’envoyer six ou huit candidats, tous les deux ans. Cette politique reste théoriquement en place mais on ne la pratique plus.

Avant, on n’avait pas non plus le droit d’envoyer des prêtres, ou des religieuses à l’étranger pour être formés en tant que formateurs ; maintenant, on peut sortir assez facilement. C’est là notre espoir. Que ceux qui reviennent de l’étranger reviennent travailler dans nos centres de formation et améliorent, petit à petit, la qualité de celle-ci.

Et concernant la place des laïcs au sein de la communauté catholique ?

En général, la participation des laïcs est très bien appréciée par les pasteurs. D’autant qu’ils s’engagent sans condition, en particulier dans les paroisses des campagnes. Ils travaillent facilement et gratuitement, bénévolement. Parfois même, on a trop de volontaire. Tout le monde est disponible. C’est notre sens de l’Eglise au Vietnam. Moi-même, j’apprécie bien la participation des laïcs.

Ce que nous ne pouvons pas encore faire, c’est former les laïcs ; les conditions convenables pour les former ne sont pas encore réunies. C’est ce que nous devons parvenir à faire dans l’avenir.

Le 20 décembre prochain, vous célébrerez l’anniversaire des 25 ans de votre ordination sacerdotale. En 25 ans, beaucoup de choses ont changé au Vietnam.

Oui, beaucoup de choses ont changé, dans une direction résolument positive, à tous les égards. C’est pour moi très signifiant, car la Providence de Dieu nous a conduits, nous aidés à surmonter toutes ces difficultés de l’Histoire, à surmonter tous les inconvénients que notre génération a connus.

Vingt-cinq ans de prêtrise, c’est une occasion de rendre grâce à Dieu pour l’Eglise en général et pour moi-même. J’ai dû attendre le sacerdoce pendant seize ans. Je n’ai été ordonné prêtre qu’à l’âge de 42 ans. C’est trop âgé pour un prêtre au Vietnam ! Normalement, on est ordonné à 27, 28 ou 29, voire 30 ans, au maximum. Moi, j’ai dû attendre trop longtemps. Quand j’ai été ordonné, j’étais complètement satisfait, ça suffisait largement pour moi. Je n’attendais que ça. Je n’ai jamais osé penser à un trajet plus loin ; le temps passe vite, on aboutit aux noces d’argent. Il s’agit vraiment de noces, je suis en joie. (eda/rg)

(Source: Eglises d'Asie, le 3 juillet 2017)