Le 6 mai dernier, à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, Reporters sans frontières publiait pour la première fois une « Liste des 100 héros de l’information ». Beaucoup se sont étonnés d’y découvrir le nom du P. Antoine Lê Ngoc Thanh, religieux rédemptoriste vietnamien. La notice qui suivait le nom du religieux dans la liste en question (1) éclairait ce choix en décrivant la personnalité de ce prêtre et le travail qu’il accomplit en tant que responsable du site d’information des rédemptoristes vietnamiens et de la radio libre qui lui est attachée.
Une interview accordée par le religieux rédemptoriste au site Internet Vatican Insider lui a permis d’exprimer ses convictions et de replacer son travail de journaliste dans le contexte de son ministère pastoral. La version anglaise de cette interview a été publiée par Vatican Insider le 26 mai 2014. Une traduction vietnamienne a été mise en ligne sur le site des rédemptoristes vietnamiens le 2 juillet 2014. La traduction française ci-dessous a été réalisée par la rédaction d’Eglises d’Asie.
Père Antoine, pourriez-vous nous parler de votre vie et de votre vocation ?
Je suis né dans un quartier pauvre de Saigon, un quartier dont la charge pastorale était confiée aux prêtres rédemptoristes. Leur esprit me séduisit dès mon plus jeune âge. Cependant, à cette époque, mon pays se trouvait placé sous la chape de plomb de l’athéisme communiste. En grandissant, malgré ma réussite scolaire, je ressentis un manque. Un jour, l’occasion me fut donnée de lire un passage de la lettre de Saint Paul aux Galates disant : « Ce n’est plus moi qui vit, c’est le Christ qui vit en moi. » Je compris alors brusquement que Dieu était au plus profond de mon âme. Je commençai à aider les prêtres rédemptoristes, en m’occupant avec eux des enfants de la rue. Puis je les ai rejoints ; ils m’ont appris que le Christ demeurait parmi les pauvres et les délaissés.
Qu’est-ce qui vous a poussé à vous engager dans le domaine de l’information ?
A l’âge de 16 ans, une forte passion pour la presse et la communication est née et s’est développée en moi. Je désirais être journaliste et j’ai même commencé à travailler comme pigiste. Après mon ordination sacerdotale, j’ai été envoyé dans le diocèse de Kontum, où habitent diverses minorités ethniques. J’ai appris à connaître la population locale et j’ai réalisé un court documentaire à leur sujet.
En 2005, lorsque sont apparus les réseaux sociaux, j’ai commencé à rédiger de courtes réflexions sur un blog et sur Facebook. En 2009, les rédemptoristes vietnamiens ont décidé de donner un nouvel élan au domaine de la communication ; c’est à moi qu’ils ont confié cette tâche. Depuis lors, le groupe s’est élargi à des religieux et des laïcs. J’ai pu ainsi créer un réseau d’information diffusée sur le web et sur la radio. Nous couvrons l’actualité dans le cadre des relations entre la société vietnamienne et les valeurs chrétiennes. La liberté de religion et les droits inaliénables de l’homme nous tiennent particulièrement à cœur.
Qu’en est-il de votre travail pastoral ?
Je travaille à l’intérieur de l’archidiocèse de Saigon. Mon ministère pastoral s’exerce principalement via le web. Nous sommes en mesure de nous mettre au service de nos compatriotes dans le pays, mais aussi de collaborer avec les Vietnamiens installés dans le monde entier, grâce à l’Internet. Notre service est celui de la vie de la vérité et de l’Evangile. C’est ainsi que nous nous faisons un devoir de dénoncer les nombreux cas de personnes dépouillées de leurs terres sans aucune compensation. Tous ceux qui protestent sont arrêtés. Il nous arrive aussi de contacter des jeunes qui consacrent toute leur vie aux jeux en ligne, à la violence et à la pornographie. Beaucoup de jeunes n’espèrent plus rien de la vie. Nous essayons de les rencontrer personnellement et de les aider.
Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées ?
Il n’est pas rare que nous exprimions notre solidarité à l’égard de militants ou de responsables de blog arrêtés pour « propagande anti-gouvernementale ». Au cours d’une manifestation pour le soutien de Nguyen Van Hai, (connu sous le nom du blog tenu par lui, à savoir « Dieu Cay » (‘la pipe du laboureur’)), la police m’a appréhendé dans le but de m’empêcher de rendre compte de ce procès injuste. Le même scénario s’est reproduit avec Dinh Nhat, arrêté à cause de certains de ses messages sur Facebook. Tous les journalistes, y compris moi-même, courent les mêmes risques. Afin de nous soutenir mutuellement dans la réalisation de notre mission pour la liberté, nous organisons chaque semaine un rassemblement de prières. Nous sommes désarmés, mais la violence du pouvoir ne nous intimide pas car il est impossible atteindre nos consciences.
Quelle est la situation de l’Eglise au Vietnam aujourd’hui ?
Dans notre société communiste, les religions ne sont pas entièrement libres. Bien que la Constitution stipule que les citoyens sont libres de choisir leur propre religion, toutes les activités religieuses doivent être autorisées par l’Etat. Les communautés religieuses, et l’Eglise catholique donc, n’ont pas de statut juridique reconnu. Mais, outre ces problèmes structurels, dans l’Eglise du Vietnam, je vois aussi les problèmes auxquels font face les personnes qui témoignent sans réserve de leur foi dans leur vie quotidienne. Le défi est de vivre une vie vraiment chrétienne. Pourtant, les Vietnamiens ont vraiment confiance dans l’Eglise, qu’ils considèrent comme un corps fort et uni. Pour cette raison, l’Eglise a le devoir d’apporter sa propre contribution au progrès démocratique, pour le bien de la nation tout entière.
Estimez-vous que le feu cardinal Nguyên Van Thuan soit un exemple en ce sens ?
Il est un modèle pour nous : il est du Sud du Vietnam, comme moi, et les autorités communistes l’ont mis derrière les barreaux à cause de sa foi en Dieu. Son livre Sur le chemin de l’espérance donne de la force et de l’encouragement à tous les catholiques vietnamiens, même dans la situation actuelle qui reste difficile. Le cardinal Thuan a agi comme témoin de Christ, même en prison, apportant un message de paix pour les gardiens de prison. J’espère que le pape François le béatifiera bientôt. (eda/jm)
(1) On trouvera cette liste à l’adresse suivante : http://heroes.rsf.org/fr/le-ngoc-thanh/
Voici la notice consacrée au P. Antoine Lê Ngoc Thanh : « Anton Lê Ngoc Thanh est à la fois journaliste et prêtre catholique. Son travail pour Vietnam Redemporist News, un média catholique pour lequel il travaille depuis les années 1990, lui a déjà valu de nombreux problèmes avec les autorités vietnamiennes. En 2012, il est interpellé alors qu’il se rend à Bac Lieu, dans le sud du pays, où une femme s’est immolée par le feu pour protester contre le procès de sa fille blogueuse, la célèbre Ta Phong Tan. Il est alors détenu plusieurs heures pour avoir « causé un accident de la route » en se déplaçant à pieds. En 2013, il est à nouveau arrêté au cours d’une manifestation de soutien à Dinh Nhat Uy, jugé pour avoir organisé une campagne de libération de son jeune frère. Le Ngoc Thanh fait l’objet d’une surveillance policière constante et se voit régulièrement empêché de couvrir et de faire connaître les infractions aux droits humains dont il est témoin. »
(Source: Eglises d'Asie, le 2 juillet 2014)
Père Antoine, pourriez-vous nous parler de votre vie et de votre vocation ?
Je suis né dans un quartier pauvre de Saigon, un quartier dont la charge pastorale était confiée aux prêtres rédemptoristes. Leur esprit me séduisit dès mon plus jeune âge. Cependant, à cette époque, mon pays se trouvait placé sous la chape de plomb de l’athéisme communiste. En grandissant, malgré ma réussite scolaire, je ressentis un manque. Un jour, l’occasion me fut donnée de lire un passage de la lettre de Saint Paul aux Galates disant : « Ce n’est plus moi qui vit, c’est le Christ qui vit en moi. » Je compris alors brusquement que Dieu était au plus profond de mon âme. Je commençai à aider les prêtres rédemptoristes, en m’occupant avec eux des enfants de la rue. Puis je les ai rejoints ; ils m’ont appris que le Christ demeurait parmi les pauvres et les délaissés.
Qu’est-ce qui vous a poussé à vous engager dans le domaine de l’information ?
A l’âge de 16 ans, une forte passion pour la presse et la communication est née et s’est développée en moi. Je désirais être journaliste et j’ai même commencé à travailler comme pigiste. Après mon ordination sacerdotale, j’ai été envoyé dans le diocèse de Kontum, où habitent diverses minorités ethniques. J’ai appris à connaître la population locale et j’ai réalisé un court documentaire à leur sujet.
En 2005, lorsque sont apparus les réseaux sociaux, j’ai commencé à rédiger de courtes réflexions sur un blog et sur Facebook. En 2009, les rédemptoristes vietnamiens ont décidé de donner un nouvel élan au domaine de la communication ; c’est à moi qu’ils ont confié cette tâche. Depuis lors, le groupe s’est élargi à des religieux et des laïcs. J’ai pu ainsi créer un réseau d’information diffusée sur le web et sur la radio. Nous couvrons l’actualité dans le cadre des relations entre la société vietnamienne et les valeurs chrétiennes. La liberté de religion et les droits inaliénables de l’homme nous tiennent particulièrement à cœur.
Qu’en est-il de votre travail pastoral ?
Je travaille à l’intérieur de l’archidiocèse de Saigon. Mon ministère pastoral s’exerce principalement via le web. Nous sommes en mesure de nous mettre au service de nos compatriotes dans le pays, mais aussi de collaborer avec les Vietnamiens installés dans le monde entier, grâce à l’Internet. Notre service est celui de la vie de la vérité et de l’Evangile. C’est ainsi que nous nous faisons un devoir de dénoncer les nombreux cas de personnes dépouillées de leurs terres sans aucune compensation. Tous ceux qui protestent sont arrêtés. Il nous arrive aussi de contacter des jeunes qui consacrent toute leur vie aux jeux en ligne, à la violence et à la pornographie. Beaucoup de jeunes n’espèrent plus rien de la vie. Nous essayons de les rencontrer personnellement et de les aider.
Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées ?
Il n’est pas rare que nous exprimions notre solidarité à l’égard de militants ou de responsables de blog arrêtés pour « propagande anti-gouvernementale ». Au cours d’une manifestation pour le soutien de Nguyen Van Hai, (connu sous le nom du blog tenu par lui, à savoir « Dieu Cay » (‘la pipe du laboureur’)), la police m’a appréhendé dans le but de m’empêcher de rendre compte de ce procès injuste. Le même scénario s’est reproduit avec Dinh Nhat, arrêté à cause de certains de ses messages sur Facebook. Tous les journalistes, y compris moi-même, courent les mêmes risques. Afin de nous soutenir mutuellement dans la réalisation de notre mission pour la liberté, nous organisons chaque semaine un rassemblement de prières. Nous sommes désarmés, mais la violence du pouvoir ne nous intimide pas car il est impossible atteindre nos consciences.
Quelle est la situation de l’Eglise au Vietnam aujourd’hui ?
Dans notre société communiste, les religions ne sont pas entièrement libres. Bien que la Constitution stipule que les citoyens sont libres de choisir leur propre religion, toutes les activités religieuses doivent être autorisées par l’Etat. Les communautés religieuses, et l’Eglise catholique donc, n’ont pas de statut juridique reconnu. Mais, outre ces problèmes structurels, dans l’Eglise du Vietnam, je vois aussi les problèmes auxquels font face les personnes qui témoignent sans réserve de leur foi dans leur vie quotidienne. Le défi est de vivre une vie vraiment chrétienne. Pourtant, les Vietnamiens ont vraiment confiance dans l’Eglise, qu’ils considèrent comme un corps fort et uni. Pour cette raison, l’Eglise a le devoir d’apporter sa propre contribution au progrès démocratique, pour le bien de la nation tout entière.
Estimez-vous que le feu cardinal Nguyên Van Thuan soit un exemple en ce sens ?
Il est un modèle pour nous : il est du Sud du Vietnam, comme moi, et les autorités communistes l’ont mis derrière les barreaux à cause de sa foi en Dieu. Son livre Sur le chemin de l’espérance donne de la force et de l’encouragement à tous les catholiques vietnamiens, même dans la situation actuelle qui reste difficile. Le cardinal Thuan a agi comme témoin de Christ, même en prison, apportant un message de paix pour les gardiens de prison. J’espère que le pape François le béatifiera bientôt. (eda/jm)
(1) On trouvera cette liste à l’adresse suivante : http://heroes.rsf.org/fr/le-ngoc-thanh/
Voici la notice consacrée au P. Antoine Lê Ngoc Thanh : « Anton Lê Ngoc Thanh est à la fois journaliste et prêtre catholique. Son travail pour Vietnam Redemporist News, un média catholique pour lequel il travaille depuis les années 1990, lui a déjà valu de nombreux problèmes avec les autorités vietnamiennes. En 2012, il est interpellé alors qu’il se rend à Bac Lieu, dans le sud du pays, où une femme s’est immolée par le feu pour protester contre le procès de sa fille blogueuse, la célèbre Ta Phong Tan. Il est alors détenu plusieurs heures pour avoir « causé un accident de la route » en se déplaçant à pieds. En 2013, il est à nouveau arrêté au cours d’une manifestation de soutien à Dinh Nhat Uy, jugé pour avoir organisé une campagne de libération de son jeune frère. Le Ngoc Thanh fait l’objet d’une surveillance policière constante et se voit régulièrement empêché de couvrir et de faire connaître les infractions aux droits humains dont il est témoin. »
(Source: Eglises d'Asie, le 2 juillet 2014)