THAILANDE

Face à la détermination du gouvernement d’en finir avec le camp retranché des « rouges » à Bangkok, l’Eglise catholique en appelle à l’intervention des chefs religieux


Eglises d’Asie, 17 mai 2010 – Lundi 17 mai, la détermination du gouvernement thaïlandais d’en finir par la force avec le camp des « rouges », retranchés au centre du cœur commercial de Bangkok, ne semblait pas faire de doute. Face à l’issue potentiellement violente de ce conflit politique et après les 36 morts recensés ces cinq derniers jours, le président de la Conférence des évêques catholiques de Thaïlande a appelé à « une intervention des chefs religieux » afin d’« explorer les voies nouvelles du dialogue et de la médiation, pour offrir une issue pacifique à la crise ».

L’affrontement entre les « rouges » et les forces de l’ordre semble se préparer depuis cinq jours à Rajprasong. Après les 29 morts du mois d’avril dernier (1) et l’amorce d’un règlement du conflit avec la « feuille de route » proposée début mai par le Premier ministre Abhisit, le durcissement autour de Rajprasong a été rapide. Dans le quartier, l’eau et l’électricité ont été coupées, les ordures ne sont plus ramassées et la détermination des autorités à en finir « dès que possible » avec le dernier carré des « rouges » retranchés derrière des barricades de pneus enflammés semble totale. « L’opération (de dispersion) sera exécutée dès que possible », a indiqué, le 17 au matin, Satit Wonghnongtaey, ministre auprès du Premier ministre. Les autorités « s’expliqueront auprès du public lorsque les opérations seront terminées », a-t-il précisé à des journalistes, tandis que les soldats encerclant le quartier faisaient usage, non plus de balles en caoutchouc, mais de balles réelles.

A l’intérieur du camp des « rouges », les leaders ont déclaré que les femmes, les enfants et les personnes âgées qui étaient parmi eux ne seraient pas utilisés comme boucliers humains. De fait, dans l’après-midi du dimanche 16 mai, ces derniers ont été déplacés vers une « zone neutre », à savoir la vaste étendue d’une pagode bouddhique toute proche, le temple Pathumwanaram. Là, des ONG, dont des organisations caritatives catholiques, se sont proposées pour leur venir en aide, mais tant l’armée que les chefs des « rouges » leur ont refusé l’accès à la pagode. Selon un membre de Mercy Center, une des ONG catholiques qui a tenté d’intervenir sur place, « la défiance prévaut de part et d’autre ».

Dans ce contexte tendu au cœur de Bangkok et instable dans certaines autres régions du pays, notamment du Nord et du Nord-Est, bases politiques des « rouges », l’inquiétude est forte. Le 14 mai dernier, Mgr Louis Chamniern Santisukniran, archevêque de Tharae-Nongsaeng et président de la Conférence épiscopale de Thaïlande, n’a pas hésité à appeler les chefs religieux à intervenir publiquement pour obtenir le retour au calme. Un mois plus tôt, le 15 avril, l’archevêque de Bangkok, un haut responsable musulman et un représentant du patriarche suprême du bouddhisme avaient posé un geste commun, un appel à la prière (2).

Cette fois-ci, pour Mgr Louis Chamniern, étant donné le risque de « guerre civile », il faut aller plus loin. Les chefs religieux « bénéficient de la confiance, de la crédibilité et de l’estime de la population. Ils pourraient donc être aujourd’hui très utiles pour résoudre l’impasse et vaincre la violence » (3).

Dans un pays où les catholiques forment une toute petite minorité de 0,5 % de la population, l’Eglise n’est pas en mesure d’agir seule. Cependant, Mgr Louis Chamniern l’affirme: « Nous ne nous lasserons jamais de dire que l’unique chemin est le dialogue: il faut déposer les armes et renoncer à la violence pour trouver une issue à cette crise. Je crains que le pays ne soit au bord d’une guerre civile qui, si elle n’est pas stoppée, sera une catastrophe. (…) Dans cette phase tragique de notre histoire, je vois des personnes sans espoir et fatalistes. Il y a beaucoup de peur. Le ‘pays du sourire’ semble être devenu un ‘pays de douleur’. Aujourd’hui, nous souffrons tous ensemble et, en ce moment, c’est comme un tunnel dont on ne voit pas l’issue. »

« Entre les parties, poursuit l’évêque, il y a une évidente incompréhension. Aucune des deux factions ne veut céder. Chacun cherche à défendre ses intérêts, sans penser au reste de la population du pays et au bien commun. Le gouvernement accuse les leaders de la contestation rouge d’être des « ennemis de la couronne » et des « traîtres à la patrie ». Cela ne me semble pas vrai mais plutôt une manière de discréditer la contestation aux yeux de la nation. L’exécutif devrait agir avec plus de patience et explorer de nouveaux chemins de dialogue et de médiation. »

L’évêque ne le dit pas, mais le seul qui puisse agir afin de sortir le pays de l’impasse serait le roi, mais celui-ci, malade, est affaibli et son crédit politique pourrait ne pas jouer avec autant d’efficacité que lors de la crise de 1992. Dans ce contexte, Mgr Chamniern propose que la médiation soit opérée par les chefs religieux: « Nous, responsables religieux, nous sommes disposés à offrir notre contribution et nous pourrions exercer un rôle de médiation entre les partis si nous étions appelés à le faire. La population, en ce moment, nourrit une plus grande confiance envers les leaders religieux qu’envers les leaders politiques. Nous sommes prêts à aller sur le terrain et à nous engager pour le bien du pays, pour éviter qu’à nouveau, le sang ne soit versé. »

(1) & (2) Voir EDA 528

(3) Fides, 15 mai 2010.