Les formations qui représentent les minorités ethniques n’ont remporté qu’une quarantaine de sièges au parlement national lors des élections législatives du 8 novembre dernier. Elles n’occuperont que 6 % de la représentation nationale alors que les minorités comptent pour environ 40 % de la population du pays. Elles n’ont pas résisté à la très forte poussée du parti de l’opposante Aung San Suu Kyi.
Les partis ethniques sont abasourdis. « Nous avons été frappés par un tsunami LND », confie à l’agence Ucanews Sai Nyunt Lwin, secrétaire de la SNLD, la Ligue pour la démocratie des ethnies shan. Le parti shan contrôlait vingt-deux sièges dans la précédente législature. La SNLD n’en a plus que quinze alors qu’elle en espérait trois fois plus. Malgré ce revers, elle reste la formation ethnique qui obtient le meilleur résultat au niveau national. Onze partis seront représentés dans le nouveau parlement, dont la victorieuse Ligue nationale pour la démocratie (LND) de l’opposante Aung San Suu Kyi, l’USDP des anciens militaires jusqu’alors au pouvoir, ainsi que neuf organisations politiques ethniques. Quatre-vingt-douze partis concouraient, pour la plupart des petites formations ethniques qui n’ont pas réussi à obtenir un seul siège.
La LND a déjà remporté 81 % des sièges ouverts au vote au parlement national alors que les résultats définitifs ne sont pas encore connus (soit 364 élus – dont une vingtaine de chrétiens – sur un total de 491 sièges). Les militaires en uniforme occupent, d’office, un quart de l’institution. Malgré cette contrainte, le parti de l’opposante Aung San Suu Kyi est d’ores et déjà assuré de disposer de la majorité absolue dans les deux chambres. Il devrait donc accéder au printemps prochain à la présidence du pays. Et il n’aura pas besoin du soutien des partis ethniques pour cela. Aung San Suu Kyi ne pourra pas occuper la fonction suprême. Adoptée sous l’ancienne junte militaire, la Constitution birmane l’en empêche.
Dans l’Etat kachin, majoritairement chrétien, les partis des ethnies locales obtiennent de piètres résultats, deux sièges seulement au parlement national. « Nous avons perdu dans les villes, explique Tu Ja, un candidat malheureux du KSDP, le Parti pour la démocratie dans l’Etat kachin. Mais nous avons gagné dans des régions rurales, notamment dans 22 villages et un township. » Ce sursaut a permis au KSDP de remporter trois sièges à la chambre locale. Tu Ja estime que les organisations ethniques ont toutes souffert de la campagne d’Aung San Suu Kyi, « très efficace », dont le slogan « le temps du changement est venu » a marqué les esprits. « Les citadins attendaient un changement immédiat, analyse-t-il. Quand Aung San Suu Kyi a fait campagne dans l’Etat kachin, la majorité des gens qui nous soutenaient se sont tournés vers la LND. » L’opposante a prononcé des discours publics qui ont attiré des milliers de citoyens. Elle a sillonné le pays et elle s’est notamment attardée dans les régions ethniques, notamment les Etats karen, kachin et shan. « Les électeurs ont eu davantage confiance en un grand parti national qu’en de petites formations locales pour apporter un changement à l’échelle de tout le pays », note Tu Ja.
Cette sévère défaite s’explique également par le contexte dans lequel le scrutin s’est tenu. Le pouvoir a annulé l’élection dans près de cinq cents villages, principalement dans l’Etat shan. Ces régions étaient « les fiefs de la SNLD. Nous avons ainsi perdu six sièges », déclare Sai Nyunt Lwin au journal en ligne The Irrawaddy. Les formations politiques ethniques sont allées aux élections en ordre dispersé et elles se sont affaiblies les unes les autres. Dans les Etats karen et mon, ainsi que la région de Tanyinthari, au sud de la Birmanie, le Parti pour la démocratie de toute la région mon (AMPD) a présenté une cinquantaine de candidats. Le Parti national mon (MNP), environ trente-cinq, souvent dans les mêmes circonscriptions. Ces deux formations n’ont obtenu aucun siège au niveau national.
Après avoir été dominé pendant cinq ans à 75 % par les militaires et leur allié de l’USDP, le parlement birman vire de bord et laissera encore moins de place aux partis ethniques. Cela les préoccupe. « Nous sommes très inquiets de voir avec quelle efficacité le prochain gouvernement LND va mettre en œuvre le système fédéral que tous les peuples ethniques appellent de leur vœux », confie à Ucanews U Salomon, un homme politique catholique du Parti pour la démocratie de toutes les ethnies (ANDP).
Les 800 000 musulmans rohingyas qui vivent à l’ouest de la Birmanie n’ont aucun représentant dans les nouvelles institutions. Le pouvoir leur a retiré le droit de vote avant les élections et la Commission électorale a invalidé la plupart des candidatures musulmanes. « Le suffrage universel n’a pas été complètement respecté », a conclu deux jours après le scrutin Alexander Graf Lambsdorff, le vice-président du Parlement européen qui dirige la mission d’observation des élections de l’Union européenne en Birmanie. Quelle politique adoptera le prochain gouvernement pro-démocratique sur la question de l’apatridie des Rohingyas et de la promotion de leurs droits ? Ces dernières semaines, la LND a semblé minimiser la gravité du sujet alors que cent mille personnes de cette ethnie vivent dans des camps de déplacés depuis mi-2012. « Ce problème est (…) de petite proportion par rapport à tous les problèmes auxquels le pays doit faire face : la corruption, les amis des gens au pouvoir, les projets [de développement] chinois », déclarait à Eglises d’Asie Win Htein quelques jours avant le vote. D’après ce membre du comité exécutif de la LND, la communauté internationale surestime l’ampleur de la question rohingya, car « les organisations étrangères écoutent la propagande musulmane ».
Toutes les formations ethniques ne se sont pas effondrées. Certaines espèrent avoir de l’influence au niveau local. Le Parti national arakanais (ANP, bouddhiste, nationaliste) obtient par exemple la majorité des sièges au parlement régional dans l’Arakan même si son dirigeant, Aye Maung, n’a pas été réélu. Certains groupes ethniques armés considèrent que la LND, dont de nombreux membres ont des origines ethniques, saura prendre en compte la voix des minorités. « Un nouveau gouvernement dirigé par la LND ne sera pas pire que le gouvernement militaire », conclut Naw Zipporah Sein, vice-président de l’Union nationale karen (KNU), un groupe ethnique de l’est du pays. (eda/rf)
(Source: Eglises d'Asie, le 16 novembre 2015)
Les partis ethniques sont abasourdis. « Nous avons été frappés par un tsunami LND », confie à l’agence Ucanews Sai Nyunt Lwin, secrétaire de la SNLD, la Ligue pour la démocratie des ethnies shan. Le parti shan contrôlait vingt-deux sièges dans la précédente législature. La SNLD n’en a plus que quinze alors qu’elle en espérait trois fois plus. Malgré ce revers, elle reste la formation ethnique qui obtient le meilleur résultat au niveau national. Onze partis seront représentés dans le nouveau parlement, dont la victorieuse Ligue nationale pour la démocratie (LND) de l’opposante Aung San Suu Kyi, l’USDP des anciens militaires jusqu’alors au pouvoir, ainsi que neuf organisations politiques ethniques. Quatre-vingt-douze partis concouraient, pour la plupart des petites formations ethniques qui n’ont pas réussi à obtenir un seul siège.
La LND a déjà remporté 81 % des sièges ouverts au vote au parlement national alors que les résultats définitifs ne sont pas encore connus (soit 364 élus – dont une vingtaine de chrétiens – sur un total de 491 sièges). Les militaires en uniforme occupent, d’office, un quart de l’institution. Malgré cette contrainte, le parti de l’opposante Aung San Suu Kyi est d’ores et déjà assuré de disposer de la majorité absolue dans les deux chambres. Il devrait donc accéder au printemps prochain à la présidence du pays. Et il n’aura pas besoin du soutien des partis ethniques pour cela. Aung San Suu Kyi ne pourra pas occuper la fonction suprême. Adoptée sous l’ancienne junte militaire, la Constitution birmane l’en empêche.
Dans l’Etat kachin, majoritairement chrétien, les partis des ethnies locales obtiennent de piètres résultats, deux sièges seulement au parlement national. « Nous avons perdu dans les villes, explique Tu Ja, un candidat malheureux du KSDP, le Parti pour la démocratie dans l’Etat kachin. Mais nous avons gagné dans des régions rurales, notamment dans 22 villages et un township. » Ce sursaut a permis au KSDP de remporter trois sièges à la chambre locale. Tu Ja estime que les organisations ethniques ont toutes souffert de la campagne d’Aung San Suu Kyi, « très efficace », dont le slogan « le temps du changement est venu » a marqué les esprits. « Les citadins attendaient un changement immédiat, analyse-t-il. Quand Aung San Suu Kyi a fait campagne dans l’Etat kachin, la majorité des gens qui nous soutenaient se sont tournés vers la LND. » L’opposante a prononcé des discours publics qui ont attiré des milliers de citoyens. Elle a sillonné le pays et elle s’est notamment attardée dans les régions ethniques, notamment les Etats karen, kachin et shan. « Les électeurs ont eu davantage confiance en un grand parti national qu’en de petites formations locales pour apporter un changement à l’échelle de tout le pays », note Tu Ja.
Cette sévère défaite s’explique également par le contexte dans lequel le scrutin s’est tenu. Le pouvoir a annulé l’élection dans près de cinq cents villages, principalement dans l’Etat shan. Ces régions étaient « les fiefs de la SNLD. Nous avons ainsi perdu six sièges », déclare Sai Nyunt Lwin au journal en ligne The Irrawaddy. Les formations politiques ethniques sont allées aux élections en ordre dispersé et elles se sont affaiblies les unes les autres. Dans les Etats karen et mon, ainsi que la région de Tanyinthari, au sud de la Birmanie, le Parti pour la démocratie de toute la région mon (AMPD) a présenté une cinquantaine de candidats. Le Parti national mon (MNP), environ trente-cinq, souvent dans les mêmes circonscriptions. Ces deux formations n’ont obtenu aucun siège au niveau national.
Après avoir été dominé pendant cinq ans à 75 % par les militaires et leur allié de l’USDP, le parlement birman vire de bord et laissera encore moins de place aux partis ethniques. Cela les préoccupe. « Nous sommes très inquiets de voir avec quelle efficacité le prochain gouvernement LND va mettre en œuvre le système fédéral que tous les peuples ethniques appellent de leur vœux », confie à Ucanews U Salomon, un homme politique catholique du Parti pour la démocratie de toutes les ethnies (ANDP).
Les 800 000 musulmans rohingyas qui vivent à l’ouest de la Birmanie n’ont aucun représentant dans les nouvelles institutions. Le pouvoir leur a retiré le droit de vote avant les élections et la Commission électorale a invalidé la plupart des candidatures musulmanes. « Le suffrage universel n’a pas été complètement respecté », a conclu deux jours après le scrutin Alexander Graf Lambsdorff, le vice-président du Parlement européen qui dirige la mission d’observation des élections de l’Union européenne en Birmanie. Quelle politique adoptera le prochain gouvernement pro-démocratique sur la question de l’apatridie des Rohingyas et de la promotion de leurs droits ? Ces dernières semaines, la LND a semblé minimiser la gravité du sujet alors que cent mille personnes de cette ethnie vivent dans des camps de déplacés depuis mi-2012. « Ce problème est (…) de petite proportion par rapport à tous les problèmes auxquels le pays doit faire face : la corruption, les amis des gens au pouvoir, les projets [de développement] chinois », déclarait à Eglises d’Asie Win Htein quelques jours avant le vote. D’après ce membre du comité exécutif de la LND, la communauté internationale surestime l’ampleur de la question rohingya, car « les organisations étrangères écoutent la propagande musulmane ».
Toutes les formations ethniques ne se sont pas effondrées. Certaines espèrent avoir de l’influence au niveau local. Le Parti national arakanais (ANP, bouddhiste, nationaliste) obtient par exemple la majorité des sièges au parlement régional dans l’Arakan même si son dirigeant, Aye Maung, n’a pas été réélu. Certains groupes ethniques armés considèrent que la LND, dont de nombreux membres ont des origines ethniques, saura prendre en compte la voix des minorités. « Un nouveau gouvernement dirigé par la LND ne sera pas pire que le gouvernement militaire », conclut Naw Zipporah Sein, vice-président de l’Union nationale karen (KNU), un groupe ethnique de l’est du pays. (eda/rf)
(Source: Eglises d'Asie, le 16 novembre 2015)