Après un voyage en Egypte où il a délivré un message fort en faveur de la paix au Moyen-Orient et dans le monde, et plaidé contre la violence perpétrée au nom de la religion, le pape François accueille au Vatican, ce jeudi 4 mai, Aung San Suu Kyi, la conseillère d’Etat et ministre birmane des Affaires étrangères. Son pays est secoué par des conflits ethniques et religieux de plus en plus violents. La communauté internationale accuse son gouvernement de ne pas respecter les droits de l’homme.
Deux grandes figures de la paix se rencontrent ce jeudi 4 mai au Vatican : le pape François, tout juste revenu d’un « voyage de paix et d’unité » en Egypte, selon ses propres mots, et Aung San Suu Kyi, lauréate du prix Nobel de la paix en 1991. Le premier vient de conforter sa stature d’homme de paix, au Moyen-Orient. La seconde a vu son image d’icône de la démocratie et de la non-violence sérieusement écornée depuis son accession au pouvoir il y a un peu plus d’un an. Les conflits ethniques et religieux se sont multipliés au nord et à l’est de la Birmanie ainsi que dans l’Arakan, cette région frontalière du Bangladesh où l’armée a chassé plus de 70 000 musulmans de l’ethnie rohingya ces six derniers mois. Ils se sont réfugiés de l’autre côté de la frontière. Les Nations Unies évoquent des crimes contre l’humanité.
Les résonnances birmanes du message de paix du pape François
Avant d’accéder au pouvoir, la conseillère d’Etat birmane avait fait de la paix sa première priorité. Mais elle peine à concrétiser cet objectif. Elle devrait convoquer sa seconde conférence sur la paix fin mai, avec trois mois de retard et sans que l’on sache encore si les groupes rebelles les plus virulents acceptent d’y siéger. Sa mission en faveur de la paix se heurte à sa propre politique : elle nie les violations des droits de l’homme dont souffrent les Rohingyas depuis six mois, elle refuse une mission d’information des Nations Unies pour faire la lumière sur ces violences et son gouvernement a bloqué l’acheminement de l’aide humanitaire aux victimes des conflits au nord du pays.
Ces contradictions seront lourdes à porter face au pape François, qui, lui, a délivré au Caire un message de paix limpide qui a marqué les esprits. Certes, ses propos étaient avant tout destinés au Moyen-Orient, mais ils résonnent avec une pertinence étonnante dans le contexte birman. Le souverain pontife a ainsi appelé à « résorber les situations de pauvreté et d’exploitation, là où les extrémismes s’enracinent plus facilement ». L’Etat de l’Arakan, où s’affrontent régulièrement bouddhistes, musulmans et les forces de l’ordre, est le deuxième plus pauvre de Birmanie. « Eduquer à l’ouverture respectueuse et au dialogue sincère avec l’autre, en reconnaissant ses droits et ses libertés fondamentales, spécialement la liberté religieuse, constitue la meilleure voie pour bâtir ensemble l’avenir », a-t-il encore insisté en Egypte. Dans l’Arakan, les autorités songent à détruire les mosquées prétendument bâties sans autorisation et les Rohingyas sont privés du droit à la nationalité, du droit à l’éducation et de la liberté de déplacement.
Le pape François a par ailleurs demandé le « respect inconditionnel des droits inaliénables de l’homme, tels que l’égalité entre tous les citoyens, la liberté religieuse et d’expression, sans aucune distinction », citant notamment « les minorités afin que personne et aucun groupe social ne soit exclu ou laissé pour compte ». En Birmanie, la démocratie est toute naissante mais elle est souvent considérée comme la dictature de la majorité, plus que comme le respect des minorités. Enfin, le pape a rappelé le devoir « d’enseigner aux nouvelles générations que Dieu (…) n’a pas besoin d’être protégé par les hommes » et qu’« il ne peut ni demander ni justifier la violence ». Ce message fait particulièrement écho à la situation en Birmanie, où les groupes extrémistes bouddhistes considèrent que la religion bouddhique doit être activement défendue, au moyen de lois discriminatoires, face à une prétendue montée de l’islam. Les chiffres prouvent pourtant le contraire : 87,9 % des Birmans sont bouddhistes d’après le recensement de 2014 et la proportion de musulmans est quasiment stable (4,3% de la population, soit une augmentation de 0,4 point sur une période de plus de trente ans). « L’unique extrémisme admis pour les croyants », c’est « celui de la charité ! », s’est écrié le pape François, dans une adresse très universelle, et qui, encore une fois, fait sens en Birmanie, où 99,9 % de la population se dit croyante.
Place Saint-Pierre, le pape évoque le sort des Rohingyas
Ces derniers mois, le pape François n’était pas resté insensible au sort tragique des Rohingyas. « Ce sont des gens bons, des gens pacifiques. Ils ne sont pas chrétiens, ils sont bons, ils sont nos frères et nos sœurs. Et depuis des années, ils souffrent : ils sont torturés, tués, simplement pour avoir mis en avant leurs traditions, leur foi musulmane », avait-il lancé, en février dernier, depuis Rome. Il avait ensuite prié « pour nos frères et sœurs rohingyas », évoquant publiquement le nom de l’ethnie dont ces musulmans se réclament. Or, ce terme fait polémique en Birmanie, où le pouvoir et la majorité bouddhiste considèrent qu’ils sont des immigrés illégaux venus du Bangladesh et qu’ils ont inventé le mot « rohingya » pour permettre à leur minorité de revendiquer des droits sur le territoire birman. Les extrémistes bouddhistes estiment de leur côté qu’ils sont des étrangers, et que, à ce titre, ils ne doivent pas bénéficier des droits les plus fondamentaux. Aung San Suu Kyi avait elle-même demandé aux diplomates étrangers de ne pas utiliser le mot « rohingya », afin de ne pas créer davantage de tensions et de ne pas nuire à la résolution des conflits dans cette région. Certains chefs d’Etat et responsables politiques et religieux se sont conformés à son exigence, comme le ministre français des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault. D’autres n’en ont pas tenu compte, comme Koffi Annan, l’ancien secrétaire général des Nations Unies, qui préside une commission chargée de proposer des solutions aux conflits arakanais, le cardinal Charles Bo, archevêque de Rangoun, et donc le pape François.
Le souverain pontife et la ministre birmane des Affaires étrangères devraient également évoquer l’établissement de relations diplomatiques entre le Saint-Siège et la Birmanie. D’après l’archevêché de Rangoun, ces liens diplomatiques devraient se nouer dans un avenir très proche, même si la date d’arrivée d’un nonce apostolique en Birmanie n’est pas encore connue avec certitude.
Le 28 octobre 2013, le pape François avait déjà accordé une audience à Aung San Suu Kyi mais elle était à l’époque secrétaire générale du parti politique la Ligue nationale pour la démocratie et n’occupait aucune fonction officielle. Selon le P. Federico Lombardi, alors porte-parole du Saint-Siège, cette première rencontre avait été l’occasion de rappeler que le dialogue interreligieux était « une clé fondamentale pour une cohabitation pacifique entre les peuples ».
Copyright Légende photo : Le pape François et la dirigeant birmane Aung San Suu Kyi, le 4 mai 2017 lors d'une rencontre au Vatican, à Rome (POOL/AFP)
(Source: Eglises d'Asie, le 4 mai 2017)
Les résonnances birmanes du message de paix du pape François
Avant d’accéder au pouvoir, la conseillère d’Etat birmane avait fait de la paix sa première priorité. Mais elle peine à concrétiser cet objectif. Elle devrait convoquer sa seconde conférence sur la paix fin mai, avec trois mois de retard et sans que l’on sache encore si les groupes rebelles les plus virulents acceptent d’y siéger. Sa mission en faveur de la paix se heurte à sa propre politique : elle nie les violations des droits de l’homme dont souffrent les Rohingyas depuis six mois, elle refuse une mission d’information des Nations Unies pour faire la lumière sur ces violences et son gouvernement a bloqué l’acheminement de l’aide humanitaire aux victimes des conflits au nord du pays.
Ces contradictions seront lourdes à porter face au pape François, qui, lui, a délivré au Caire un message de paix limpide qui a marqué les esprits. Certes, ses propos étaient avant tout destinés au Moyen-Orient, mais ils résonnent avec une pertinence étonnante dans le contexte birman. Le souverain pontife a ainsi appelé à « résorber les situations de pauvreté et d’exploitation, là où les extrémismes s’enracinent plus facilement ». L’Etat de l’Arakan, où s’affrontent régulièrement bouddhistes, musulmans et les forces de l’ordre, est le deuxième plus pauvre de Birmanie. « Eduquer à l’ouverture respectueuse et au dialogue sincère avec l’autre, en reconnaissant ses droits et ses libertés fondamentales, spécialement la liberté religieuse, constitue la meilleure voie pour bâtir ensemble l’avenir », a-t-il encore insisté en Egypte. Dans l’Arakan, les autorités songent à détruire les mosquées prétendument bâties sans autorisation et les Rohingyas sont privés du droit à la nationalité, du droit à l’éducation et de la liberté de déplacement.
Le pape François a par ailleurs demandé le « respect inconditionnel des droits inaliénables de l’homme, tels que l’égalité entre tous les citoyens, la liberté religieuse et d’expression, sans aucune distinction », citant notamment « les minorités afin que personne et aucun groupe social ne soit exclu ou laissé pour compte ». En Birmanie, la démocratie est toute naissante mais elle est souvent considérée comme la dictature de la majorité, plus que comme le respect des minorités. Enfin, le pape a rappelé le devoir « d’enseigner aux nouvelles générations que Dieu (…) n’a pas besoin d’être protégé par les hommes » et qu’« il ne peut ni demander ni justifier la violence ». Ce message fait particulièrement écho à la situation en Birmanie, où les groupes extrémistes bouddhistes considèrent que la religion bouddhique doit être activement défendue, au moyen de lois discriminatoires, face à une prétendue montée de l’islam. Les chiffres prouvent pourtant le contraire : 87,9 % des Birmans sont bouddhistes d’après le recensement de 2014 et la proportion de musulmans est quasiment stable (4,3% de la population, soit une augmentation de 0,4 point sur une période de plus de trente ans). « L’unique extrémisme admis pour les croyants », c’est « celui de la charité ! », s’est écrié le pape François, dans une adresse très universelle, et qui, encore une fois, fait sens en Birmanie, où 99,9 % de la population se dit croyante.
Place Saint-Pierre, le pape évoque le sort des Rohingyas
Ces derniers mois, le pape François n’était pas resté insensible au sort tragique des Rohingyas. « Ce sont des gens bons, des gens pacifiques. Ils ne sont pas chrétiens, ils sont bons, ils sont nos frères et nos sœurs. Et depuis des années, ils souffrent : ils sont torturés, tués, simplement pour avoir mis en avant leurs traditions, leur foi musulmane », avait-il lancé, en février dernier, depuis Rome. Il avait ensuite prié « pour nos frères et sœurs rohingyas », évoquant publiquement le nom de l’ethnie dont ces musulmans se réclament. Or, ce terme fait polémique en Birmanie, où le pouvoir et la majorité bouddhiste considèrent qu’ils sont des immigrés illégaux venus du Bangladesh et qu’ils ont inventé le mot « rohingya » pour permettre à leur minorité de revendiquer des droits sur le territoire birman. Les extrémistes bouddhistes estiment de leur côté qu’ils sont des étrangers, et que, à ce titre, ils ne doivent pas bénéficier des droits les plus fondamentaux. Aung San Suu Kyi avait elle-même demandé aux diplomates étrangers de ne pas utiliser le mot « rohingya », afin de ne pas créer davantage de tensions et de ne pas nuire à la résolution des conflits dans cette région. Certains chefs d’Etat et responsables politiques et religieux se sont conformés à son exigence, comme le ministre français des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault. D’autres n’en ont pas tenu compte, comme Koffi Annan, l’ancien secrétaire général des Nations Unies, qui préside une commission chargée de proposer des solutions aux conflits arakanais, le cardinal Charles Bo, archevêque de Rangoun, et donc le pape François.
Le souverain pontife et la ministre birmane des Affaires étrangères devraient également évoquer l’établissement de relations diplomatiques entre le Saint-Siège et la Birmanie. D’après l’archevêché de Rangoun, ces liens diplomatiques devraient se nouer dans un avenir très proche, même si la date d’arrivée d’un nonce apostolique en Birmanie n’est pas encore connue avec certitude.
Le 28 octobre 2013, le pape François avait déjà accordé une audience à Aung San Suu Kyi mais elle était à l’époque secrétaire générale du parti politique la Ligue nationale pour la démocratie et n’occupait aucune fonction officielle. Selon le P. Federico Lombardi, alors porte-parole du Saint-Siège, cette première rencontre avait été l’occasion de rappeler que le dialogue interreligieux était « une clé fondamentale pour une cohabitation pacifique entre les peuples ».
Copyright Légende photo : Le pape François et la dirigeant birmane Aung San Suu Kyi, le 4 mai 2017 lors d'une rencontre au Vatican, à Rome (POOL/AFP)
(Source: Eglises d'Asie, le 4 mai 2017)