Halimah Yacob, musulmane de la minorité malaise, est devenue présidente de la République de Singapour : c'est la seule candidate à avoir obtenu un « certificat d’éligibilité » aux élections présidentielles.
Lundi 11 septembre, le comité électoral a confirmé que les élections présidentielles de Singapour n’auront pas lieu. Halimah Yacob, 63 ans, présidente du Parlement jusqu'à sa démission en août dernier, est la seule des trois candidats à avoir obtenu un « certificat d’éligibilité » aux élections. Celles-ci, réservées exclusivement aux candidats de la minorité malaise de Singapour, auraient dû se tenir le 23 septembre.
La présidente de la République aura essentiellement un rôle cérémoniel, comme ses prédécesseurs, car l’exécutif est entre les mains du Premier ministre Lee Hsien Loong (fils de Lee Kuan Yew, le ‘père de la nation’). Elle détient néanmoins des pouvoirs de veto sur la nomination des postes clés du gouvernement et l'utilisation des réserves financières de Singapour. Normalement, l’accession à ce poste d’une femme issue d’une minorité, qui plus est, musulmane pratiquante portant le voile, dans un Etat laïque et majoritairement chinois (1) devrait être considérée comme une percée remarquable. Cette victoire facile est en fait très controversée.
Une figure publique reconnaissable
Le 6 août dernier, Madame Halimah Yacob annonçait qu’elle se présenterait aux élections présidentielles. « Je fais confiance aux Singapouriens pour voir au-delà du voile, au-delà de la religion, au-delà de la race, au-delà du genre, car c'est ce qui est à la base de notre système » affirmait-elle. Pourtant les Singapouriens ne lui reprochent ni sa religion, ni le fait qu’elle soit une femme. La critique qui revient le plus souvent est le fait d’avoir nié son héritage indien et de prétendre être indépendante alors qu’elle est un ‘produit’ du PAP, le Parti de l’Action du Peuple, au pouvoir depuis l’indépendance de la cité-Etat.
Qui est Halimah Yacob ? Son père d’origine indienne et de religion musulmane est mort quand elle avait huit ans. C’est donc sa mère d’origine malaise qui l’a élevée. Les origines ethniques sont importantes à souligner, car cette élection présidentielle, la première de ce genre, était réservée aux candidats de la minorité malaise de Singapour. Or, certains ont mis en doute le fait que Madame Yacob puisse se présenter car la ‘race’ (2) est traditionnellement considérée comme étant celle du père, et non de la mère. Après avoir fait des études de droit, Mme Yacob fut avocate. C’est en 2001 qu’elle s’est engagée en politique et, à l’âge de 47 ans, elle fut élue députée. En 2011, elle est devenue ministre d'État au ministère du Développement communautaire, de la Jeunesse et des Sports, puis ministre d'État au ministère du Développement social et familial l’année suivante. Sur proposition du Premier ministre Lee Hsien Loong, elle a été élue présidente du Parlement le 14 janvier 2013, devenant ainsi la première femme à tenir ce poste dans l'histoire de la République.
Être ou ne pas être malais ?
Pour cette élection résevée aux Malais, la question de savoir si un candidat à la présidence est « assez malais » était au centre des débats de ces dernières semaines. Deux autres personnes s’étaient présentées pour faire face à Madame Yacob, mais tout comme elle, leur identité ethnique était mise en doute : M. Salleh Marican, dont le père était indien, s’est un peu embrouillé dans son malais lors d’une interview et M. Farid Khan est d’origine pakistanaise sur sa carte d’identité.
Dans la constitution singapourienne: une « personne appartenant à la communauté malaise » est définie comme étant de race malaise ou autre, mais se considérant comme membre de la communauté malaise et généralement acceptée comme tel par celle-ci.
« Pour l'instant, les politiques clés de Singapour dépendent encore de l’utilisation du modèle CMIO [Chinois, Malais, Indiens et Autres (3)]. […] Les identités raciales et culturelles demeurent importantes pour la plupart des Singapouriens », souligne Eugene Tan, professeur de droit à l'Université de Management de Singapour. « Alors que Singapour s’épanouit en tant que nation, l'importance du système CMIO dans la sphère publique devrait diminuer progressivement. Chaque Singapourien a plusieurs identités et aucune classification ne peut jamais en capturer toutes les nuances », ajoute-t-il. Et de préciser : « reconnaître que les identités multiples font partie intégrante de Singapour est vital pour les relations ethniques ».
Une commission a été mise en place pour juger de l’ethnicité de chaque candidat. Mme Halimah Yacob, M. Salleh Marican et M. Farid Khan ont tous les trois reçu leur certificat stipulant qu’ils faisaient bien partie de la communauté malaise. Mais au final, seule Mme Yacob a pu obtenir un certificat d’éligibilité, car elle avait occupé un poste clé dans le service public pendant plus de trois ans. Les deux autres venant du secteur privé devaient justifier de trois ans de travail à la tête d’une entreprise dotée d’un capital d’au moins 500 millions de dollars singapouriens (330 millions d’euros), et ce n’était pas le cas.
Le jeu politique du gouvernement
Le PAP a mis en place ces changements dans le processus électoral afin, soi-disant, d’élargir la représentation politique des minorités ; et les dirigeants, dont le Premier ministre Lee Hsien Loong, ont été forcés de nier que les nouvelles règles allaient à l'encontre de l'éthique méritocratique de Singapour. De nombreux observateurs estiment en fait que ces critères auraient plutôt été mis en place pour barrer la route à l’un des candidats malheureux des dernières élections (en 2011): le docteur Tan Cheng Bock avait perdu de justesse face au candidat officiel Tony Tan, mais il comptait bien se représenter cette année.
La majorité des Singapouriens semblent néanmoins être d’accord sur le fait que Mme Halimah Yacob devrait être une bonne présidente. Mais comme le souligne Md Suhaile, un journaliste singapourien, le fait d’avoir été ‘élue’ grâce à une élection réservée aux malais nourrit le stéréotype des malais qui ne sont tout simplement pas aussi bons que les autres. Il y a quelques jours, Lawrence Chong, un jeune singapourien engagé dans le dialogue interreligieux indiquait sur Facebook : « Je m’inquiète vraiment des conséquences de cette élection présidentielle sur nous en tant que nation. Les commentaires en ligne ne vont pas dans la bonne direction et je crains que le discours nous divise et laisse des blessures béantes dans notre tissu social. Je me demande pourquoi le gouvernement n'a pas choisi un candidat malais lors d'élections précédentes si c’était un problème. Il y a un antécédent, le gouvernement a soutenu le président Nathan [NDLR : SR Nathan, indien, fut le président de Singapour de 1999 à 2011] qui a assumé sa tâche avec sagesse et grâce. Alors, pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas laissé ces élections ouvertes à tous, en soutenant Halimah, qui est une excellente candidate ? C'est ce qui me surprend le plus. »
« Si nos dirigeants croient vraiment à la diversité, pourquoi ne préconisons-nous pas que le Premier ministre soit aussi issue d’une minorité ? » questionne Jeraldine, une jeune blogueuse. Elle fait ici référence à la succession du Premier ministre, Lee Hsien Loong, qui a annoncé sa retraite prochaine. Le vice-Premier ministre Tharman Shanmugaratnam, semble être la personnalité préférée des Singapouriens pour lui succéder, mais il est indien.
Dans un entretien avec la BBC en mars dernier, Lee Hsien Loong expliquait : « à Singapour, c'est bien mieux qu'avant, mais la race et la religion comptent toujours. [...] Je pense que les considérations ethniques ne sont jamais absentes lorsque les électeurs votent et cela rend les choses difficiles, ce n'est pas impossible, et j'espère qu'un jour il y aura un Premier ministre non chinois, mais vous me demandez si cela va arriver demain, je ne le pense pas. » (eda/fb)
(1) Selon le recensement de 2015, Singapour compte près de 5,4 millions d’habitants ; les malais représentent 13,3 %, les indiens 9,1 % et les autres minorités 3,3 % d’une population à majorité chinoise (74,3 %).
(2) Le terme de ‘race’ pourrait choquer, mais dans le contexte singapourien, votre ‘race’ est mentionnée sur votre carte d’identité.
(3) La population est catégorisée en fonction des origines ethniques de chacun pour favoriser une sorte de discrimination positive dans de nombreux domaines, tels que l’accession au logement ou à l’éducation.
(Source: Eglises d'Asie, le 13 septembre 2017)
Lundi 11 septembre, le comité électoral a confirmé que les élections présidentielles de Singapour n’auront pas lieu. Halimah Yacob, 63 ans, présidente du Parlement jusqu'à sa démission en août dernier, est la seule des trois candidats à avoir obtenu un « certificat d’éligibilité » aux élections. Celles-ci, réservées exclusivement aux candidats de la minorité malaise de Singapour, auraient dû se tenir le 23 septembre.
La présidente de la République aura essentiellement un rôle cérémoniel, comme ses prédécesseurs, car l’exécutif est entre les mains du Premier ministre Lee Hsien Loong (fils de Lee Kuan Yew, le ‘père de la nation’). Elle détient néanmoins des pouvoirs de veto sur la nomination des postes clés du gouvernement et l'utilisation des réserves financières de Singapour. Normalement, l’accession à ce poste d’une femme issue d’une minorité, qui plus est, musulmane pratiquante portant le voile, dans un Etat laïque et majoritairement chinois (1) devrait être considérée comme une percée remarquable. Cette victoire facile est en fait très controversée.
Une figure publique reconnaissable
Le 6 août dernier, Madame Halimah Yacob annonçait qu’elle se présenterait aux élections présidentielles. « Je fais confiance aux Singapouriens pour voir au-delà du voile, au-delà de la religion, au-delà de la race, au-delà du genre, car c'est ce qui est à la base de notre système » affirmait-elle. Pourtant les Singapouriens ne lui reprochent ni sa religion, ni le fait qu’elle soit une femme. La critique qui revient le plus souvent est le fait d’avoir nié son héritage indien et de prétendre être indépendante alors qu’elle est un ‘produit’ du PAP, le Parti de l’Action du Peuple, au pouvoir depuis l’indépendance de la cité-Etat.
Qui est Halimah Yacob ? Son père d’origine indienne et de religion musulmane est mort quand elle avait huit ans. C’est donc sa mère d’origine malaise qui l’a élevée. Les origines ethniques sont importantes à souligner, car cette élection présidentielle, la première de ce genre, était réservée aux candidats de la minorité malaise de Singapour. Or, certains ont mis en doute le fait que Madame Yacob puisse se présenter car la ‘race’ (2) est traditionnellement considérée comme étant celle du père, et non de la mère. Après avoir fait des études de droit, Mme Yacob fut avocate. C’est en 2001 qu’elle s’est engagée en politique et, à l’âge de 47 ans, elle fut élue députée. En 2011, elle est devenue ministre d'État au ministère du Développement communautaire, de la Jeunesse et des Sports, puis ministre d'État au ministère du Développement social et familial l’année suivante. Sur proposition du Premier ministre Lee Hsien Loong, elle a été élue présidente du Parlement le 14 janvier 2013, devenant ainsi la première femme à tenir ce poste dans l'histoire de la République.
Être ou ne pas être malais ?
Pour cette élection résevée aux Malais, la question de savoir si un candidat à la présidence est « assez malais » était au centre des débats de ces dernières semaines. Deux autres personnes s’étaient présentées pour faire face à Madame Yacob, mais tout comme elle, leur identité ethnique était mise en doute : M. Salleh Marican, dont le père était indien, s’est un peu embrouillé dans son malais lors d’une interview et M. Farid Khan est d’origine pakistanaise sur sa carte d’identité.
Dans la constitution singapourienne: une « personne appartenant à la communauté malaise » est définie comme étant de race malaise ou autre, mais se considérant comme membre de la communauté malaise et généralement acceptée comme tel par celle-ci.
« Pour l'instant, les politiques clés de Singapour dépendent encore de l’utilisation du modèle CMIO [Chinois, Malais, Indiens et Autres (3)]. […] Les identités raciales et culturelles demeurent importantes pour la plupart des Singapouriens », souligne Eugene Tan, professeur de droit à l'Université de Management de Singapour. « Alors que Singapour s’épanouit en tant que nation, l'importance du système CMIO dans la sphère publique devrait diminuer progressivement. Chaque Singapourien a plusieurs identités et aucune classification ne peut jamais en capturer toutes les nuances », ajoute-t-il. Et de préciser : « reconnaître que les identités multiples font partie intégrante de Singapour est vital pour les relations ethniques ».
Une commission a été mise en place pour juger de l’ethnicité de chaque candidat. Mme Halimah Yacob, M. Salleh Marican et M. Farid Khan ont tous les trois reçu leur certificat stipulant qu’ils faisaient bien partie de la communauté malaise. Mais au final, seule Mme Yacob a pu obtenir un certificat d’éligibilité, car elle avait occupé un poste clé dans le service public pendant plus de trois ans. Les deux autres venant du secteur privé devaient justifier de trois ans de travail à la tête d’une entreprise dotée d’un capital d’au moins 500 millions de dollars singapouriens (330 millions d’euros), et ce n’était pas le cas.
Le jeu politique du gouvernement
Le PAP a mis en place ces changements dans le processus électoral afin, soi-disant, d’élargir la représentation politique des minorités ; et les dirigeants, dont le Premier ministre Lee Hsien Loong, ont été forcés de nier que les nouvelles règles allaient à l'encontre de l'éthique méritocratique de Singapour. De nombreux observateurs estiment en fait que ces critères auraient plutôt été mis en place pour barrer la route à l’un des candidats malheureux des dernières élections (en 2011): le docteur Tan Cheng Bock avait perdu de justesse face au candidat officiel Tony Tan, mais il comptait bien se représenter cette année.
La majorité des Singapouriens semblent néanmoins être d’accord sur le fait que Mme Halimah Yacob devrait être une bonne présidente. Mais comme le souligne Md Suhaile, un journaliste singapourien, le fait d’avoir été ‘élue’ grâce à une élection réservée aux malais nourrit le stéréotype des malais qui ne sont tout simplement pas aussi bons que les autres. Il y a quelques jours, Lawrence Chong, un jeune singapourien engagé dans le dialogue interreligieux indiquait sur Facebook : « Je m’inquiète vraiment des conséquences de cette élection présidentielle sur nous en tant que nation. Les commentaires en ligne ne vont pas dans la bonne direction et je crains que le discours nous divise et laisse des blessures béantes dans notre tissu social. Je me demande pourquoi le gouvernement n'a pas choisi un candidat malais lors d'élections précédentes si c’était un problème. Il y a un antécédent, le gouvernement a soutenu le président Nathan [NDLR : SR Nathan, indien, fut le président de Singapour de 1999 à 2011] qui a assumé sa tâche avec sagesse et grâce. Alors, pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas laissé ces élections ouvertes à tous, en soutenant Halimah, qui est une excellente candidate ? C'est ce qui me surprend le plus. »
« Si nos dirigeants croient vraiment à la diversité, pourquoi ne préconisons-nous pas que le Premier ministre soit aussi issue d’une minorité ? » questionne Jeraldine, une jeune blogueuse. Elle fait ici référence à la succession du Premier ministre, Lee Hsien Loong, qui a annoncé sa retraite prochaine. Le vice-Premier ministre Tharman Shanmugaratnam, semble être la personnalité préférée des Singapouriens pour lui succéder, mais il est indien.
Dans un entretien avec la BBC en mars dernier, Lee Hsien Loong expliquait : « à Singapour, c'est bien mieux qu'avant, mais la race et la religion comptent toujours. [...] Je pense que les considérations ethniques ne sont jamais absentes lorsque les électeurs votent et cela rend les choses difficiles, ce n'est pas impossible, et j'espère qu'un jour il y aura un Premier ministre non chinois, mais vous me demandez si cela va arriver demain, je ne le pense pas. » (eda/fb)
(1) Selon le recensement de 2015, Singapour compte près de 5,4 millions d’habitants ; les malais représentent 13,3 %, les indiens 9,1 % et les autres minorités 3,3 % d’une population à majorité chinoise (74,3 %).
(2) Le terme de ‘race’ pourrait choquer, mais dans le contexte singapourien, votre ‘race’ est mentionnée sur votre carte d’identité.
(3) La population est catégorisée en fonction des origines ethniques de chacun pour favoriser une sorte de discrimination positive dans de nombreux domaines, tels que l’accession au logement ou à l’éducation.
(Source: Eglises d'Asie, le 13 septembre 2017)