Le Secours catholique - Caritas France organise sa Campagne internationale annuelle du 12 au 28 mai 2014. Dans ce cadre, l’association a invité trois grands témoins, dont Mgr Enrique ('Kike') Figaredo. Jésuite espagnol, président de Caritas Cambodge, Mgr Figaredo est préfet apostolique de Battambang depuis 2000 (1). Il répond ici aux questions d’Eglises d’Asie.
Eglises d’Asie : Le 2 juillet 2000, vous étiez ordonné préfet apostolique de Battambang. Dans votre homélie, vous disiez alors : « Nous sommes appelés à marcher ensemble sur les routes si difficiles du Cambodge et à trouver les beautés du royaume de Dieu sur les chemins que nous empruntons chaque jour. » Près de quatorze plus tard, toujours responsable de la préfecture apostolique de Battambang, comment décrieriez-vous les beautés et les difficultés du Cambodge ?
Mgr Enrique Figaredo, SJ : La première des difficultés que je soulignerais est la pauvreté, voire l’extrême pauvreté dans laquelle vit une très, une trop grande part de la population cambodgienne. Cette pauvreté a des implications très concrètes sur l’espérance de vie des gens, sur leur santé, sur leur accès à l’éducation. Trop de personnes en sont réduites à tenter de survivre et ne jouissent d’aucune stabilité dans leurs conditions de vie.
La conséquence de cet état de fait est un mouvement migratoire aussi important que continu. Les gens, les jeunes en particulier, quittent notre région de Battambang, qui est une région principalement rurale, pour aller chercher à vivre dans les grandes villes, à Siem Réap, à Sihanoukville ou à Phnom Penh. Mais ils sont très nombreux également à émigrer, en Thaïlande notamment.
La difficulté est que nos communautés perdent ainsi leurs éléments les plus dynamiques et se vident de l’intérieur. Les amitiés que nous nouons demeurent certes, mais l’éloignement fait que nombreux sont ceux que nous perdons de vue. Et je ne dis rien des difficultés que ces personnes rencontrent dans leur nouveau lieu de vie, en ville, dans les bidonvilles plutôt !
Depuis l’an 2000, en quatorze ans, j’ai vu bien sûr des améliorations. La croissance économique du pays est réelle, mais les richesses ne sont pas réparties équitablement. La richesse produite se concentre entre quelques mains et l’homme de la rue n’en voit pas vraiment les fruits. La pauvreté reste endémique. Dans les communautés dont nous avons la charge, dans les établissements que nous animons, je vois bien que les jeunes progressent ; ils acquièrent une éducation, une formation, un métier ; la plupart arrivent à trouver un travail, mais ces progrès ne se diffusent que très lentement dans la société. Vous devez vous rappeler que nous formons qu’une communauté très petite et que nos moyens sont limités.
Les dernières élections législatives, dont les résultats sont contestés, ont été suivies de manifestations populaires importantes. Comment les interprétez-vous ?
Je ne peux parler que des jeunes qui sont autour de nous, catholiques ou non, ceux que nous côtoyons chaque jour. Ce qu’ils veulent avant tout, c’est que les choses changent. Ils souhaitent un gouvernement qui rende des comptes. Mais cela ne veut pas forcément dire qu’ils sont prêts à s’engager en politique. Je constate que les jeunes souhaitent avant tout améliorer leur vie quotidienne. Pour ceux que nous formons dans nos écoles et qui parviennent à finir leurs études, il existe des possibilités de s’en sortir. Ils trouvent à s’employer dans les grandes villes, dans les hôtels, les sociétés privées, les banques ou les ONG, mais ils ne sont pas la majorité. Tous ceux qui sortent du système scolaire public sans diplôme font face à de très grandes difficultés. Ils partent en grand nombre à l’étranger.
Quant aux manifestations elles-mêmes, les catholiques, les jeunes catholiques ont été nombreux à y participer, mais comme nous sommes très peu nombreux, cela ne se voit pas forcément. Ils y sont allés parce qu’ils sont à l’image du reste de la jeunesse cambodgienne ; ils ont soif de justice, ils en ont assez de la corruption et ils veulent que les droits de l’homme soient respectés.
Pour notre part, nous le clergé, nous avons essayé de les former pour qu’ils soient des acteurs de la non-violence. Ce dont ce pays a besoin, ce n’est pas d’un surcroît de violence mais que les choses changent réellement et de manière pacifique. Nous avons multiplié ces derniers mois les séminaires de formation autour de ces thèmes. Cela a été aussi l’occasion de contacts approfondis avec les bouddhistes, les moines notamment. L’Université bouddhiste de Battambang nous a ainsi contactés et nous avons pu y donner des conférences sur la doctrine sociale de l’Eglise. Cela a été l’occasion de belles discussions et de vraies rencontres.
Vous évoquez les jeunes qui partent pour les grandes villes ou l’étranger. Quelles sont les conséquences de ces départs sur votre travail missionnaire ?
Un des principaux axes de notre travail pastoral est de construire, d’édifier des communautés qui sont comme des familles. Le lien social a beaucoup souffert au Cambodge du fait de l’Histoire de ces dernières décennies et le développement économique actuel n’aide pas vraiment à le reconstruire. Que ce soit dans nos établissements d’enseignement, dans les centres pour handicapés, mentaux ou physiques, dans les maisons pour personnes âgées, nous veillons toujours à édifier la communauté, que les gens qui en sont membres se sentent solidaires et que cette solidarité vivante attire ceux qui sont à l’extérieur. Beaucoup de nos projets s’appuient sur une dimension agricole ; nous fournissons la terre et des familles peuvent s’y installer. Mais je dois dire que le développement agricole n’est pas une priorité du gouvernement.
Combien de catholiques comptez-vous dans la préfecture apostolique de Battambang ?
Quand je suis arrivé en 2000, les registres indiquaient 3 000 catholiques environ. Les catéchumènes sont nombreux au Cambodge et aujourd’hui près de 6 000 personnes sont inscrites sur les registres paroissiaux. Mais si toutes ces personnes ont reçu le baptême, cela ne veut pas dire qu’elles sont impliquées ou actives dans l’Eglise. Le nombre des communautés croît cependant. En 2000, nous comptions quinze paroisses ; elles sont au nombre de vingt-sept désormais. Les gens viennent très nombreux à la messe. Le plus souvent, ils ne sont pas baptisés mais ils sont attirés par la beauté de la liturgie, par l’atmosphère spirituelle, par l’ambiance festive aussi, les chants et les danses notamment. Nos visiteurs sont toujours frappés de la quantité de jeunes, d’enfants même, qui viennent aux offices. L’église est un centre de vie, les activités autour sont nombreuses et l’ensemble est plein de vie ! … et plein de non-catholiques ! Certains entrent en catéchuménat, mais pas tous.
Le Cambodge est un pays bouddhiste d’un point de vue culturel et religieux. Pourquoi ces jeunes fréquentent-ils une paroisse catholique ?
Nos communautés se caractérisent, je crois, par la vie. Elles débordent de vie et, pour ce qui est de la liturgie, les jeunes y trouvent une certaine forme de beauté. C’est la rencontre avec les autres, l’expérience d’un certain bonheur et de la joie, qui les amènent à connaître Jésus. Encore une fois, tous ne font pas cette expérience mais c’est le cas pour certains. Dans les campagnes, les distractions sont rares et la vie paroissiale, là où il y a une paroisse, offre une occupation de choix ! Ils savent aussi que nous attachons à une grande importance à la formation, à l’éducation et que nous enseignons des valeurs. Ils y sont sensibles. Ils sont bouddhistes par tradition et par leur culture mais il n’y a pas d’animosité dans la société envers le christianisme.
Comment est perçu le christianisme ?
Il est évident que les Cambodgiens perçoivent le christianisme comme une religion venue de l’étranger. L’Eglise catholique, les Eglises chrétiennes sont encore animées en grande partie par un personnel missionnaire. Mais le christianisme est accepté comme faisant partie du paysage.
Il ne faut toutefois pas cacher le fait que beaucoup viennent à l’église parce qu’ils imaginent, à tort ou à raison, qu’ils vont pouvoir y apprendre une langue étrangère ou que c’est le lieu où ils pourront recevoir une formation. Le problème est qu’une fois qu’ils ont obtenu une formation, en langue, en informatique, en d’autres domaines, ils partent pour trouver un travail et nous les perdons de vue le plus souvent. Un de nos défis est de garder un lien avec ceux qui partent en ville ou à l’étranger pour trouver un travail.
Le clergé est principalement un clergé missionnaire. Peut-on penser que votre successeur sera un prêtre khmer ?
Cela serait merveilleux et souhaitable, mais il est sans doute trop tôt pour penser qu’il en sera ainsi. Actuellement, deux de nos prêtres sont cambodgiens et en novembre un troisième devrait être ordonné pour Battambang. Ils ont tout à fait la capacité, un jour prochain, d’assumer la responsabilité de la préfecture apostolique. Mais si je devais rester réaliste, je dirais qu’il est plus probable que mon successeur soit un prêtre originaire d’Asie. A Battambang, il n’y a que deux prêtres non-Asiatiques : un prêtre de Colombie, le P. Pedro, et moi-même ; les neuf autres viennent d’Indonésie, des Philippines, de Corée, de Thaïlande et d’Inde. Cela crée une ambiance bien plus asiatique qu’européenne !
En août prochain sont organisées en Corée les Journées asiatiques de la jeunesse. En serez-vous ?
Non, pas personnellement. Mgr Olivier Schmitthaeusler, MEP, vicaire apostolique de Phnom Penh, est responsable de la jeunesse pour notre petite Eglise du Cambodge. Il ira, accompagné d’une délégation de trente jeunes, dont sept venus de mon diocèse. C’est un temps très important pour nous. Je vous ai dis que nos communautés étaient en grande partie formées de jeunes, mais bien évidemment ils se sentent plutôt seuls au sein d’un pays où les chrétiens sont un tout petit nombre (20 000 catholiques pour 15 millions d’habitants). Alors, être en contact avec une foule considérable de jeunes chrétiens, c’est une expérience unique, une expérience spirituelle. C’est faire l’expérience du corps mystique que représente le peuple de Dieu réuni en son Eglise. C’est très important et nous nous y préparons depuis des mois ! Et depuis que nous savons que le pape y sera lui aussi, c’est encore plus un événement…
Comment caractériseriez-vous vos relations avec les autorités ?
Localement, elles sont bonnes. Quant au gouvernement à Phnom Penh, notre position est que nous ne sommes ni pour lui ni contre lui, nous sommes pour que des changements aient lieu. Dans notre travail à travers la Caritas, dans nos contacts avec les autorités locales, nous poussons toujours à ce que les changements soient entrepris pour le bien des gens.
Quant à ce que sera l’avenir de ce pays, je n’en sais rien. Nous voyons que des personnes sont toujours plus corrompues mais nous pouvons aussi percevoir des signes de changement. Une génération nouvelle se profile à l’horizon. Ces futurs responsables ont été mieux formés, ils ont plus l’habitude du dialogue, ils ont été formés à l’étranger ou en contact avec l’étranger. Avec eux, on peut raisonnablement espérer que la situation pourra aller vers un mieux. Je veux me montrer optimiste, même s’il faut se garder de tout excès d’optimisme. Les pays voisins du Cambodge, le Vietnam, le Laos, la Thaïlande, au-delà de leurs différences, ne brillent pas par leur absence de corruption et leurs élites ne sont donc pas forcément un exemple pour les dirigeants cambodgiens. De plus, le « progrès » économique généré par les investissements étrangers, que ceux-ci viennent de Chine, de Taiwan, de Corée ou d’ailleurs, n’est pas nécessairement positif. En cheville avec les dirigeants cambodgiens, ces investisseurs accaparent les ressources naturelles du pays, exploitent sa main-d’œuvre mais, au final, très peu de richesses bénéficient vraiment à la population. C’est un vrai souci.
L’un des atouts de ce pays est l’extraordinaire jeunesse de sa population. Je vous ai dis combien étaient préoccupantes les inégalités et la faiblesse du système éducatif ; c’est vrai, mais il faut aussi considérer le dynamisme dont la jeunesse cambodgienne est porteuse. Dans nos églises, la majorité de l’assistance est formée de jeunes, des enfants, des adolescents et de jeunes adultes. Beaucoup ne sont pas baptisés mais ils peuvent être touchés par l’Evangile et le Christ. Ils me donnent beaucoup d’espoir lorsque je réfléchis à l’avenir de ce pays et de l’Eglise qui y chemine. Dieu seul le sait, mais, parmi eux se trouve sans doute mon successeur ou le successeur de mon successeur !
(1) Préfet apostolique de Battambang, l’une des trois circonscriptions de l’Eglise catholique au Cambodge, Mgr Figaredo est aussi le vice-président de la CELAC (Conférence 2piscopale du Laos et du Cambodge).
Né en Espagne le 21 septembre 1959, Mgr Enrique Figaredo Alvargonzales est entré dans la Compagnie de Jésus en 1979, avant d’être prêtre en 1992.
En 1985, durant ses études universitaires, il s’engage comme volontaire auprès du Service jésuite aux réfugiés (JRS) et travaillera aux cotés des réfugiés cambodgiens dans un camp en Thaïlande. Ses études terminées (diplômé d’économie, de théologie et de philosophie), Mgr Figaredo se rend au Cambodge afin d’aider les personnes mutilées par les mines anti-personnel. En 1991, il participe à la création de Banteay Prieb (‘la maison de la colombe’), centre d’accueil et de formation pour les enfants victimes de la guerre.
Mgr Figaredo est très impliqué sur les questions liées à l’éducation, à la formation des populations défavorisées et des jeunes enfants handicapés mentaux. Il tient un blog (ici).
(Source: Eglises d'Asie, le 14 mai 2014)
Eglises d’Asie : Le 2 juillet 2000, vous étiez ordonné préfet apostolique de Battambang. Dans votre homélie, vous disiez alors : « Nous sommes appelés à marcher ensemble sur les routes si difficiles du Cambodge et à trouver les beautés du royaume de Dieu sur les chemins que nous empruntons chaque jour. » Près de quatorze plus tard, toujours responsable de la préfecture apostolique de Battambang, comment décrieriez-vous les beautés et les difficultés du Cambodge ?
Mgr Enrique Figaredo, SJ : La première des difficultés que je soulignerais est la pauvreté, voire l’extrême pauvreté dans laquelle vit une très, une trop grande part de la population cambodgienne. Cette pauvreté a des implications très concrètes sur l’espérance de vie des gens, sur leur santé, sur leur accès à l’éducation. Trop de personnes en sont réduites à tenter de survivre et ne jouissent d’aucune stabilité dans leurs conditions de vie.
La conséquence de cet état de fait est un mouvement migratoire aussi important que continu. Les gens, les jeunes en particulier, quittent notre région de Battambang, qui est une région principalement rurale, pour aller chercher à vivre dans les grandes villes, à Siem Réap, à Sihanoukville ou à Phnom Penh. Mais ils sont très nombreux également à émigrer, en Thaïlande notamment.
La difficulté est que nos communautés perdent ainsi leurs éléments les plus dynamiques et se vident de l’intérieur. Les amitiés que nous nouons demeurent certes, mais l’éloignement fait que nombreux sont ceux que nous perdons de vue. Et je ne dis rien des difficultés que ces personnes rencontrent dans leur nouveau lieu de vie, en ville, dans les bidonvilles plutôt !
Depuis l’an 2000, en quatorze ans, j’ai vu bien sûr des améliorations. La croissance économique du pays est réelle, mais les richesses ne sont pas réparties équitablement. La richesse produite se concentre entre quelques mains et l’homme de la rue n’en voit pas vraiment les fruits. La pauvreté reste endémique. Dans les communautés dont nous avons la charge, dans les établissements que nous animons, je vois bien que les jeunes progressent ; ils acquièrent une éducation, une formation, un métier ; la plupart arrivent à trouver un travail, mais ces progrès ne se diffusent que très lentement dans la société. Vous devez vous rappeler que nous formons qu’une communauté très petite et que nos moyens sont limités.
Les dernières élections législatives, dont les résultats sont contestés, ont été suivies de manifestations populaires importantes. Comment les interprétez-vous ?
Je ne peux parler que des jeunes qui sont autour de nous, catholiques ou non, ceux que nous côtoyons chaque jour. Ce qu’ils veulent avant tout, c’est que les choses changent. Ils souhaitent un gouvernement qui rende des comptes. Mais cela ne veut pas forcément dire qu’ils sont prêts à s’engager en politique. Je constate que les jeunes souhaitent avant tout améliorer leur vie quotidienne. Pour ceux que nous formons dans nos écoles et qui parviennent à finir leurs études, il existe des possibilités de s’en sortir. Ils trouvent à s’employer dans les grandes villes, dans les hôtels, les sociétés privées, les banques ou les ONG, mais ils ne sont pas la majorité. Tous ceux qui sortent du système scolaire public sans diplôme font face à de très grandes difficultés. Ils partent en grand nombre à l’étranger.
Quant aux manifestations elles-mêmes, les catholiques, les jeunes catholiques ont été nombreux à y participer, mais comme nous sommes très peu nombreux, cela ne se voit pas forcément. Ils y sont allés parce qu’ils sont à l’image du reste de la jeunesse cambodgienne ; ils ont soif de justice, ils en ont assez de la corruption et ils veulent que les droits de l’homme soient respectés.
Pour notre part, nous le clergé, nous avons essayé de les former pour qu’ils soient des acteurs de la non-violence. Ce dont ce pays a besoin, ce n’est pas d’un surcroît de violence mais que les choses changent réellement et de manière pacifique. Nous avons multiplié ces derniers mois les séminaires de formation autour de ces thèmes. Cela a été aussi l’occasion de contacts approfondis avec les bouddhistes, les moines notamment. L’Université bouddhiste de Battambang nous a ainsi contactés et nous avons pu y donner des conférences sur la doctrine sociale de l’Eglise. Cela a été l’occasion de belles discussions et de vraies rencontres.
Vous évoquez les jeunes qui partent pour les grandes villes ou l’étranger. Quelles sont les conséquences de ces départs sur votre travail missionnaire ?
Un des principaux axes de notre travail pastoral est de construire, d’édifier des communautés qui sont comme des familles. Le lien social a beaucoup souffert au Cambodge du fait de l’Histoire de ces dernières décennies et le développement économique actuel n’aide pas vraiment à le reconstruire. Que ce soit dans nos établissements d’enseignement, dans les centres pour handicapés, mentaux ou physiques, dans les maisons pour personnes âgées, nous veillons toujours à édifier la communauté, que les gens qui en sont membres se sentent solidaires et que cette solidarité vivante attire ceux qui sont à l’extérieur. Beaucoup de nos projets s’appuient sur une dimension agricole ; nous fournissons la terre et des familles peuvent s’y installer. Mais je dois dire que le développement agricole n’est pas une priorité du gouvernement.
Combien de catholiques comptez-vous dans la préfecture apostolique de Battambang ?
Quand je suis arrivé en 2000, les registres indiquaient 3 000 catholiques environ. Les catéchumènes sont nombreux au Cambodge et aujourd’hui près de 6 000 personnes sont inscrites sur les registres paroissiaux. Mais si toutes ces personnes ont reçu le baptême, cela ne veut pas dire qu’elles sont impliquées ou actives dans l’Eglise. Le nombre des communautés croît cependant. En 2000, nous comptions quinze paroisses ; elles sont au nombre de vingt-sept désormais. Les gens viennent très nombreux à la messe. Le plus souvent, ils ne sont pas baptisés mais ils sont attirés par la beauté de la liturgie, par l’atmosphère spirituelle, par l’ambiance festive aussi, les chants et les danses notamment. Nos visiteurs sont toujours frappés de la quantité de jeunes, d’enfants même, qui viennent aux offices. L’église est un centre de vie, les activités autour sont nombreuses et l’ensemble est plein de vie ! … et plein de non-catholiques ! Certains entrent en catéchuménat, mais pas tous.
Le Cambodge est un pays bouddhiste d’un point de vue culturel et religieux. Pourquoi ces jeunes fréquentent-ils une paroisse catholique ?
Nos communautés se caractérisent, je crois, par la vie. Elles débordent de vie et, pour ce qui est de la liturgie, les jeunes y trouvent une certaine forme de beauté. C’est la rencontre avec les autres, l’expérience d’un certain bonheur et de la joie, qui les amènent à connaître Jésus. Encore une fois, tous ne font pas cette expérience mais c’est le cas pour certains. Dans les campagnes, les distractions sont rares et la vie paroissiale, là où il y a une paroisse, offre une occupation de choix ! Ils savent aussi que nous attachons à une grande importance à la formation, à l’éducation et que nous enseignons des valeurs. Ils y sont sensibles. Ils sont bouddhistes par tradition et par leur culture mais il n’y a pas d’animosité dans la société envers le christianisme.
Comment est perçu le christianisme ?
Il est évident que les Cambodgiens perçoivent le christianisme comme une religion venue de l’étranger. L’Eglise catholique, les Eglises chrétiennes sont encore animées en grande partie par un personnel missionnaire. Mais le christianisme est accepté comme faisant partie du paysage.
Il ne faut toutefois pas cacher le fait que beaucoup viennent à l’église parce qu’ils imaginent, à tort ou à raison, qu’ils vont pouvoir y apprendre une langue étrangère ou que c’est le lieu où ils pourront recevoir une formation. Le problème est qu’une fois qu’ils ont obtenu une formation, en langue, en informatique, en d’autres domaines, ils partent pour trouver un travail et nous les perdons de vue le plus souvent. Un de nos défis est de garder un lien avec ceux qui partent en ville ou à l’étranger pour trouver un travail.
Le clergé est principalement un clergé missionnaire. Peut-on penser que votre successeur sera un prêtre khmer ?
Cela serait merveilleux et souhaitable, mais il est sans doute trop tôt pour penser qu’il en sera ainsi. Actuellement, deux de nos prêtres sont cambodgiens et en novembre un troisième devrait être ordonné pour Battambang. Ils ont tout à fait la capacité, un jour prochain, d’assumer la responsabilité de la préfecture apostolique. Mais si je devais rester réaliste, je dirais qu’il est plus probable que mon successeur soit un prêtre originaire d’Asie. A Battambang, il n’y a que deux prêtres non-Asiatiques : un prêtre de Colombie, le P. Pedro, et moi-même ; les neuf autres viennent d’Indonésie, des Philippines, de Corée, de Thaïlande et d’Inde. Cela crée une ambiance bien plus asiatique qu’européenne !
En août prochain sont organisées en Corée les Journées asiatiques de la jeunesse. En serez-vous ?
Non, pas personnellement. Mgr Olivier Schmitthaeusler, MEP, vicaire apostolique de Phnom Penh, est responsable de la jeunesse pour notre petite Eglise du Cambodge. Il ira, accompagné d’une délégation de trente jeunes, dont sept venus de mon diocèse. C’est un temps très important pour nous. Je vous ai dis que nos communautés étaient en grande partie formées de jeunes, mais bien évidemment ils se sentent plutôt seuls au sein d’un pays où les chrétiens sont un tout petit nombre (20 000 catholiques pour 15 millions d’habitants). Alors, être en contact avec une foule considérable de jeunes chrétiens, c’est une expérience unique, une expérience spirituelle. C’est faire l’expérience du corps mystique que représente le peuple de Dieu réuni en son Eglise. C’est très important et nous nous y préparons depuis des mois ! Et depuis que nous savons que le pape y sera lui aussi, c’est encore plus un événement…
Comment caractériseriez-vous vos relations avec les autorités ?
Localement, elles sont bonnes. Quant au gouvernement à Phnom Penh, notre position est que nous ne sommes ni pour lui ni contre lui, nous sommes pour que des changements aient lieu. Dans notre travail à travers la Caritas, dans nos contacts avec les autorités locales, nous poussons toujours à ce que les changements soient entrepris pour le bien des gens.
Quant à ce que sera l’avenir de ce pays, je n’en sais rien. Nous voyons que des personnes sont toujours plus corrompues mais nous pouvons aussi percevoir des signes de changement. Une génération nouvelle se profile à l’horizon. Ces futurs responsables ont été mieux formés, ils ont plus l’habitude du dialogue, ils ont été formés à l’étranger ou en contact avec l’étranger. Avec eux, on peut raisonnablement espérer que la situation pourra aller vers un mieux. Je veux me montrer optimiste, même s’il faut se garder de tout excès d’optimisme. Les pays voisins du Cambodge, le Vietnam, le Laos, la Thaïlande, au-delà de leurs différences, ne brillent pas par leur absence de corruption et leurs élites ne sont donc pas forcément un exemple pour les dirigeants cambodgiens. De plus, le « progrès » économique généré par les investissements étrangers, que ceux-ci viennent de Chine, de Taiwan, de Corée ou d’ailleurs, n’est pas nécessairement positif. En cheville avec les dirigeants cambodgiens, ces investisseurs accaparent les ressources naturelles du pays, exploitent sa main-d’œuvre mais, au final, très peu de richesses bénéficient vraiment à la population. C’est un vrai souci.
L’un des atouts de ce pays est l’extraordinaire jeunesse de sa population. Je vous ai dis combien étaient préoccupantes les inégalités et la faiblesse du système éducatif ; c’est vrai, mais il faut aussi considérer le dynamisme dont la jeunesse cambodgienne est porteuse. Dans nos églises, la majorité de l’assistance est formée de jeunes, des enfants, des adolescents et de jeunes adultes. Beaucoup ne sont pas baptisés mais ils peuvent être touchés par l’Evangile et le Christ. Ils me donnent beaucoup d’espoir lorsque je réfléchis à l’avenir de ce pays et de l’Eglise qui y chemine. Dieu seul le sait, mais, parmi eux se trouve sans doute mon successeur ou le successeur de mon successeur !
(1) Préfet apostolique de Battambang, l’une des trois circonscriptions de l’Eglise catholique au Cambodge, Mgr Figaredo est aussi le vice-président de la CELAC (Conférence 2piscopale du Laos et du Cambodge).
Né en Espagne le 21 septembre 1959, Mgr Enrique Figaredo Alvargonzales est entré dans la Compagnie de Jésus en 1979, avant d’être prêtre en 1992.
En 1985, durant ses études universitaires, il s’engage comme volontaire auprès du Service jésuite aux réfugiés (JRS) et travaillera aux cotés des réfugiés cambodgiens dans un camp en Thaïlande. Ses études terminées (diplômé d’économie, de théologie et de philosophie), Mgr Figaredo se rend au Cambodge afin d’aider les personnes mutilées par les mines anti-personnel. En 1991, il participe à la création de Banteay Prieb (‘la maison de la colombe’), centre d’accueil et de formation pour les enfants victimes de la guerre.
Mgr Figaredo est très impliqué sur les questions liées à l’éducation, à la formation des populations défavorisées et des jeunes enfants handicapés mentaux. Il tient un blog (ici).
(Source: Eglises d'Asie, le 14 mai 2014)