La « cité des fantômes » d’An Bang, un hommage aux ancêtres
Après la réunification du Vietnam en 1977, de nombreux Vietnamiens ont quitté le pays afin de fuir la pauvreté et les discriminations. Au village de pêche d’An Bang, près de l’ancienne capitale impériale vietnamienne de Hué, le cimetière surnommé la « cité des fantômes » s’est construit grâce à leurs dons, envoyés depuis l’étranger. Les « boat-people » ont ainsi permis la construction de ces immenses sépultures richement décorées, d’une valeur estimée entre 300 millions et trois milliards de dongs vietnamiens, afin de rendre hommage à leurs ancêtres.
Ces temps-ci, James Nguyen Xuan Mung consacre ses journées à la supervision des ouvriers responsables de la construction d’une nouvelle tombe pour son oncle, au cimetière situé près de l’ancienne capitale impériale vietnamienne, Hué. Son oncle est mort il y a plusieurs années, mais le caveau familial s’est dégradé. Sa tante, 87 ans, y sera également enterrée un jour. James Mung, qui gère un café, explique que la tombe ressemble à un temple, avec son architecture ornée de décorations riches et colorées. Elle se tient sur une parcelle de terrain de 100 mètres carrés, dont le prix est estimé à un million de dongs (43 000 dollars US). James, qui a cinq frères et sœurs vivant aux États-Unis, ajoute qu’il a également construit deux tombes pour ses grands-parents et ses parents en 2007. Chacune est décorée de statues représentants des anges, la Vierge Marie et l’eucharistie ainsi que de gravures de dragons. Chaque tombe comprend un portail de 8,5 mètres de haut et couvre 150 mètres carrés de terrain. James explique que ses frères et sœurs américano-vietnamiens, qui gèrent des salons de manucure ou qui travaillent dans le textile, ont financé la construction des tombes.
Des centaines de ces tombes, immenses et impressionnantes, ont été construites selon différents styles, au cimetière surnommé la « cité des fantômes ». Certaines ressemblent à des temples bouddhistes, d’autres rappellent le style gothique, le tout parsemé de nombreuses colonnes romanes. De nombreux mausolées s’élèvent jusqu’à dix mètres de haut, tous richement ornés. La construction de ces tombes a coûté entre 300 millions et trois milliards de dongs vietnamiens (entre 13 000 et 130 000 dollars US). La plupart ont été financées par des proches vivant à l’étranger. En comparaison, le coût d’une tombe « normale » au Vietnam coûte environ 30 millions de dongs (1 300 dollars). Le cimetière est situé près de la paroisse d’An Bang, un paisible village de pêcheurs près d’Hué. James Mung, 45 ans, dont les frères et sœurs sont partis aux États-Unis en 1980, explique : « Nous construisons ces tombes pour exprimer notre gratitude envers nos ancêtres qui ont beaucoup souffert et qui nous ont élevés dans une période difficile. »
L’affection filiale des « boat-people »
Van Dinh Long, 78 ans et confucianiste, confie qu’en septembre dernier, ses enfants, qui vivent également aux États-Unis, ont décidé de construire une tombe de 99 mètres carrés pour lui et son épouse. « Avec cette magnifique construction, ils veulent manifester leur responsabilité et leur affection filiales et nous honorer », explique-t-il. Van, qui supervise la construction de la tombe d’une valeur de 500 millions de dongs, confie que les travaux devraient s’achever en décembre. Alors que le pays a été frappé récemment par les inondations, les constructions sont prévues pour résister aux intempéries. Le cimetière se dresse non loin de la plage, et il est constamment secoué par le vent, chargé de sable et de feuilles, qui menacent de recouvrir les autres petites tombes.
« Nous sommes heureux de voir que nos tombes sont prêtes pour nous », ajoute Van. « Traditionnellement, les enfants vietnamiens sont fiers de voir leurs parents enterrés dans des tombes richement décorées, et nous croyons que les défunts veillent sur nous et qu’ils prient pour leurs proches encore en vie pour qu’ils réussissent et qu’ils vivent en paix. » Van Long précise qu’en 1979, il a vendu tous ses biens pour permettre à ses sept enfants de partir à l’étranger. Il a été arrêté pour avoir enfreint la loi en collaborant à leur émigration illégale, et il a été condamné à deux mois de travaux forcés. Beaucoup de Vietnamiens ont fui à l’étranger, après la réunification du pays en 1975, afin d’échapper à la pauvreté et aux persécutions. À l’époque, les autorités ont ainsi interdit aux pêcheurs de s’éloigner des côtes afin de les empêcher d’en profiter pour quitter le pays. Van Dinh Long confie que 28 personnes du village d’An Bong ont péri en mer de cette manière.
Van Thi Nhu Ngoc, une bouddhiste de la région, confie que son oncle et cinq autres villageois sont morts dans des circonstances similaires en 1977, quand des soldats ont tiré sur leur bateau qui a coulé. Leurs corps n’ont jamais été retrouvés. Van, 47 ans, souligne qu’en 2016, quatorze de ses proches ont dépensé ensemble 50 000 dollars afin de construire une tombe de 300 mètres carrés pour leurs ancêtres. Elle admet que beaucoup de gens cherchent à construire des sépultures toujours plus hautes et plus décorées que les autres afin de montrer leur richesse. Van explique que selon la tradition, les tombes bien entretenues portent chance à la famille. Le père Paul Pham Ta, curé de la paroisse d’An Bang, ajoute que 80 % des villageois ont des proches à l’étranger, aux États-Unis pour la plupart.
Dans les années 1990, ils ont commencé à envoyer de l’argent afin de soutenir leurs proches restés au Vietnam et pour financer la construction des tombes, en hommage à leurs ancêtres. Le père Ta précise que beaucoup de personnes âgées craignent, leurs proches vivant à l’étranger, que personne ne pourra prendre soin de leurs sépultures, c’est pourquoi elles espèrent être enterrées dans des tombes bien décorées et pouvant résister au temps. De plus, explique-t-il, ces tombes donnent un travail à des centaines de Vietnamiens qui vendent et livrent des matériaux de construction, sans oublier les ouvriers qui gagnent entre 300 000 et 500 000 dongs par jour. Le prêtre ajoute que la paroisse et la province comptent sur les dons qui viennent de l’étranger pour soutenir les plus pauvres et construire des routes, des hôpitaux et des écoles dans les régions reculées, ainsi que des foyers pour les personnes handicapées. La paroisse d’An Bang compte 548 catholiques sur une population d’environ 9 000 habitants.
(Avec Ucanews, Hué)
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Après la réunification du Vietnam en 1977, de nombreux Vietnamiens ont quitté le pays afin de fuir la pauvreté et les discriminations. Au village de pêche d’An Bang, près de l’ancienne capitale impériale vietnamienne de Hué, le cimetière surnommé la « cité des fantômes » s’est construit grâce à leurs dons, envoyés depuis l’étranger. Les « boat-people » ont ainsi permis la construction de ces immenses sépultures richement décorées, d’une valeur estimée entre 300 millions et trois milliards de dongs vietnamiens, afin de rendre hommage à leurs ancêtres.
Ces temps-ci, James Nguyen Xuan Mung consacre ses journées à la supervision des ouvriers responsables de la construction d’une nouvelle tombe pour son oncle, au cimetière situé près de l’ancienne capitale impériale vietnamienne, Hué. Son oncle est mort il y a plusieurs années, mais le caveau familial s’est dégradé. Sa tante, 87 ans, y sera également enterrée un jour. James Mung, qui gère un café, explique que la tombe ressemble à un temple, avec son architecture ornée de décorations riches et colorées. Elle se tient sur une parcelle de terrain de 100 mètres carrés, dont le prix est estimé à un million de dongs (43 000 dollars US). James, qui a cinq frères et sœurs vivant aux États-Unis, ajoute qu’il a également construit deux tombes pour ses grands-parents et ses parents en 2007. Chacune est décorée de statues représentants des anges, la Vierge Marie et l’eucharistie ainsi que de gravures de dragons. Chaque tombe comprend un portail de 8,5 mètres de haut et couvre 150 mètres carrés de terrain. James explique que ses frères et sœurs américano-vietnamiens, qui gèrent des salons de manucure ou qui travaillent dans le textile, ont financé la construction des tombes.
L’affection filiale des « boat-people »
Van Dinh Long, 78 ans et confucianiste, confie qu’en septembre dernier, ses enfants, qui vivent également aux États-Unis, ont décidé de construire une tombe de 99 mètres carrés pour lui et son épouse. « Avec cette magnifique construction, ils veulent manifester leur responsabilité et leur affection filiales et nous honorer », explique-t-il. Van, qui supervise la construction de la tombe d’une valeur de 500 millions de dongs, confie que les travaux devraient s’achever en décembre. Alors que le pays a été frappé récemment par les inondations, les constructions sont prévues pour résister aux intempéries. Le cimetière se dresse non loin de la plage, et il est constamment secoué par le vent, chargé de sable et de feuilles, qui menacent de recouvrir les autres petites tombes.
« Nous sommes heureux de voir que nos tombes sont prêtes pour nous », ajoute Van. « Traditionnellement, les enfants vietnamiens sont fiers de voir leurs parents enterrés dans des tombes richement décorées, et nous croyons que les défunts veillent sur nous et qu’ils prient pour leurs proches encore en vie pour qu’ils réussissent et qu’ils vivent en paix. » Van Long précise qu’en 1979, il a vendu tous ses biens pour permettre à ses sept enfants de partir à l’étranger. Il a été arrêté pour avoir enfreint la loi en collaborant à leur émigration illégale, et il a été condamné à deux mois de travaux forcés. Beaucoup de Vietnamiens ont fui à l’étranger, après la réunification du pays en 1975, afin d’échapper à la pauvreté et aux persécutions. À l’époque, les autorités ont ainsi interdit aux pêcheurs de s’éloigner des côtes afin de les empêcher d’en profiter pour quitter le pays. Van Dinh Long confie que 28 personnes du village d’An Bong ont péri en mer de cette manière.
Van Thi Nhu Ngoc, une bouddhiste de la région, confie que son oncle et cinq autres villageois sont morts dans des circonstances similaires en 1977, quand des soldats ont tiré sur leur bateau qui a coulé. Leurs corps n’ont jamais été retrouvés. Van, 47 ans, souligne qu’en 2016, quatorze de ses proches ont dépensé ensemble 50 000 dollars afin de construire une tombe de 300 mètres carrés pour leurs ancêtres. Elle admet que beaucoup de gens cherchent à construire des sépultures toujours plus hautes et plus décorées que les autres afin de montrer leur richesse. Van explique que selon la tradition, les tombes bien entretenues portent chance à la famille. Le père Paul Pham Ta, curé de la paroisse d’An Bang, ajoute que 80 % des villageois ont des proches à l’étranger, aux États-Unis pour la plupart.
Dans les années 1990, ils ont commencé à envoyer de l’argent afin de soutenir leurs proches restés au Vietnam et pour financer la construction des tombes, en hommage à leurs ancêtres. Le père Ta précise que beaucoup de personnes âgées craignent, leurs proches vivant à l’étranger, que personne ne pourra prendre soin de leurs sépultures, c’est pourquoi elles espèrent être enterrées dans des tombes bien décorées et pouvant résister au temps. De plus, explique-t-il, ces tombes donnent un travail à des centaines de Vietnamiens qui vendent et livrent des matériaux de construction, sans oublier les ouvriers qui gagnent entre 300 000 et 500 000 dongs par jour. Le prêtre ajoute que la paroisse et la province comptent sur les dons qui viennent de l’étranger pour soutenir les plus pauvres et construire des routes, des hôpitaux et des écoles dans les régions reculées, ainsi que des foyers pour les personnes handicapées. La paroisse d’An Bang compte 548 catholiques sur une population d’environ 9 000 habitants.
(Avec Ucanews, Hué)
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